À
force de fuir les étalages par trop encombrés de la rentrée littéraire, on
finit par ne point s’aviser de la présence presque clandestine, sur les
étalages des primeurs ou dites telles, de quelques produits rafraîchis et non
moins neufs, et qui n’ont pas, quant à eux, de date de péremption.
Or
voilà que reparaît, en français, l’irremplaçable Macounaïma (le héros sans aucun
caractère), roman ou plutôt « rhapsodie » de Mário de Andrade (1893-1945), une
figure de tout premier plan de la génération moderniste brésilienne. Pareil
ouvrage n’aurait jamais dû, en vérité, quitter les rayons de nos librairies qu’il
avait mis trop longtemps à intégrer. À l’initiative de son traducteur, Jacques Thiériot, Macunaíma (o herói sem nenhum caráter) (1928) parut d’abord, « traduit
du brésilien » et préfacé par l’éminent Haroldo de Campos, en 1979 chez Flammarion, doublement rattaché à la collection « Barroco »
(dirigée par Gérard de Cortanze) et à la « Collection Unesco d’œuvres représentatives ».
Revu et enrichi d’un glossaire par le traducteur, le texte fut repris en 1997 chez Stock, dans la collection « Archivos » sous l’égide de l’Unesco,
de l’association ALLCA XX (Archives de la littérature latino-américaine,
des Caraïbes et africaine du XXe siècle) et du CNRS, sous la forme d’une
édition critique coordonnée par Pierre
Rivas, sans la préface de Haroldo de Campos mais avec des études procurées
par les universitaires Telê Porto Ancona Lopez, Rita Olivieri-Godet, Michel
Riaudel et Pierre Rivas lui-même, avec chronologie et bibliographie. Délesté de
tout cet accompagnement savant (dont on aurait pu, tout de même, retenir
quelques idées dans une présentation plus généreuse qu’une simple quatrième de
couverture), mais aussi dépouillé du glossaire du traducteur (fort utile, à
vrai dire, pour un texte de cette nature), Macounaïma est à nouveau disponible depuis septembre 2016, au format poche aux éditions Cambourakis.
(Fallait-il
donc que l’œuvre de Mário de Andrade tombe dans le domaine public pour qu’un
éditeur prenne l’initiative de cette republication ? Je ne le crois pas.
Et faudra-t-il vraiment attendre cette même circonstance pour que quelqu’un
réédite enfin — ou fasse retraduire, pourquoi pas ? — les romans non moins
essentiels de l’autre grand moderniste brésilien, Oswald de Andrade (1890-1954),
dont existent déjà en français les stupéfiants Memórias sentimentais de João Miramar (1924) et Serafim Grande Ponte (1933), donnés par le
même Jacques Thiériot et dans la même collection « Barroco » chez
Flammarion, en 1982, au sein du volume Anthropophagies ?
Je le crains.)
Réjouissons-nous,
pour l’heure et malgré tout, du retour en librairie de Macounaïma, qui n’est pas qu’une grande réussite de l’avant-garde de São Paulo, ni même seulement un grand roman de la modernité
brésilienne, mais tout simplement un titre incontournable de la littérature
mondiale.
Du
même auteur, rappelons que le roman Amar,
verbo intransitivo (1927) est également lisible en français (Aimer, verbe intransitif, traduit par Maryvonne Lapouge-Pettorelli, préface de Clélia Piza, Gallimard, coll. « Du monde entier », 1995). Peut-être n’a-t-il pas encore trouvé son public,
comme on dit ; du moins est-il resté disponible depuis vingt ans, n’en déplaise
aux esprits négligents.
Signalons
encore l’existence d’un projet de traduction portant sur un recueil de
nouvelles (les Contos novos, annoncés
chez Gallimard dès 1995 ! — une autre traductrice s’en inquiète à présent),
ainsi que deux volumes en préparation : le recueil fondateur de la poésie
moderniste brésilienne, Paulicéia
desvairada (1922), et un ensemble de textes théoriques et critiques des
années 1920 sur la poésie et l’avant-garde, autour de l’essai A Escrava que não é Isaura (1925).
Les plus curieux pourront, sans attendre, se faire une idée du Mário de Andrade
critique en consultant l’important essai qu’il consacra à la poésie de Luís
Aranha, traduit dans le volume Cocktails
(Poèmes choisis) (trad. d’Antoine Chareyre, Toulon, La Nerthe, 2010).
Qu’on
se le dise, & qu’on lise !
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