Réponse
à M. Marius André
Nous avons reçu de M. Nicolas Beauduin, en réponse à un article de M. Marius André, paru ici le 3 mars, une réponse que des circonstances matérielles nous
ont seules empêché de publier plus tôt, et que nous nous faisons un devoir d’insérer :
Monsieur le Directeur,
Je lis dans le numéro du 3 mars de la Revue hebdomadaire une chronique de M. Marius André commentant un article de moi, « la Nouvelle génération
littéraire », paru dans Nosotros,
de Buenos-Ayres (numéro de décembre 1922) ; chronique empreinte d’une
mauvaise foi si évidente, que je ne puis la laisser passer sans protester.
Que je fusse ou non, en 1914, « le poète le plus
admiré des nouvelles générations, etc. », libre à votre collaborateur de contester
ces opinions ou de les admettre. La question n’est pas là. Ce que je n’admets
pas, c’est que, m’étant efforcé d’être le plus hautement impartial dans le
choix des auteurs cités (exactement cent dix, pris dans la nouvelle génération,
à l’exclusion des aînés), votre chroniqueur me fasse le reproche immérité de ne
présenter à l’admiration des Hispano-Américains que « des auteurs de
second plan, ou médiocres, ou mauvais, des bolchevistes de la littérature et
des dadaïstes ». « Entreprise de sabotage », écrit-il, « bourrage
de crânes », « littérature d’exportation ».
Or, les romanciers et critiques que j’ai cités vont de
François Mauriac à Valery Larbaud, en passant par Jean Giraudoux, Edmond
Jaloux, Pierre Hamp, Élie Faure, Marcel Proust, Alexandre Arnoux, Albert
Thibaudet, Daniel Halévy, Marcel Coulon, Eugène Montfort, Georges Le Cardonnel,
Henri Massis, P. Mac Orlan, Jean Bernier, Gaston Picard, Louis Chadourne,
Jean-Richard Bloch, Léon Werth, Julien Benda, Jean-Louis Vaudoyer, Jacques Boulenger,
Eugène Marsan, Henri Clouard, Henri Martineau, Jean de Pierrefeu, André
Thérive, Albert Erlande, Émile Henriot, André Lamandé, Francis de Miomandre,
Gaston Sauvebois, Roger Martin du Gard, Henry de Montherlant, etc.
Quant aux poètes que vise tout particulièrement votre
collaborateur, puisqu’il intitule sa chronique la Poésie française à l’étranger, les voici tels que je les ai présentés
aux lecteurs de Nosotros :
« O. W. de L. Milosz, cet inspiré des nombres
et des symboles ; Charles Vildrac, qui reste pour nous l’auteur ému et
harmonieux du livre d’amour ; Jean Royère, pur artiste du verbe ;
André Spire et Edmond Fleg, épris de fraternité, de justice et de modernisme ;
Léon-Paul Fargue, qui est un précurseur ; Henri Ghéon, dont l’œuvre s’élève
et s’épure d’année en année ; l’ironiste Henri Hertz, fils spirituel de
Heine et de Laforgue ; Henri Strentz et Jean Paulhan, tous deux si près de
notre cœur ; le créationniste V. Huidobro et Paul Dermée, évocateur
du surréel ; Louis de Gonzague-Frick, attiré par le subtil et le rare ;
Max Jacob, qui, tel le grand Job, reste tourmenté par des puissances adverses ;
Paul Valéry, qui réalise l’absolu mallarméen ; Jean Cocteau, amant léger
de la rose, prince frivole du palais des illusions, dont les poèmes sont des
réussites exquises ; Théo Varlet, qui porte en lui un dualisme
obsédant ; Drieu la Rochelle, qui connaît notre ferveur pour son œuvre sincère
et forte, voit dans la littérature non un passe-temps, un délassement, mais la
manifestation la plus aiguë de la vie et de l’effort moderne ; Fernand
Divoire, l’un des constructeurs les plus hautement classiques parmi les poètes
d’avant-garde, apporte, avec des tentatives simultanéistes, une contribution de
premier ordre au nouveau lyrisme ; Alexandre Mercereau, dont l’œuvre solide
et haute est celle d’un penseur lyrique ; Henri Guilbeaux, fougueux et
passionné qui, depuis plus de quatre ans, vit ses poèmes ; Marcel
Martinet, que la Nuit et les Temps maudits ont classé parmi les
lyriques véhéments de notre époque ; Louis Mandin, l’aède des Cités ferventes, apprécié jusqu’ici des
seuls initiés ; Paul Morand, la plus surprenante révélation de ces
dernières années, le plus vraiment neuf des modernistes ; Blaise Cendrars,
personnalité de premier ordre, dont l’avenir a quelque chose d’imprévisible et
d’angoissant ; Roger Dévigne, un sage et un fervent ; Marcello Fabri,
dont il faut signaler le bel effort ; Pierre Reverdy, pur poète, alchimiste
verbal ; P. Albert Birot, dont les étranges réalisations honorent
bellement notre époque. Parmi les nouveaux venus, plusieurs ont donné mieux que
des promesses : Paul Jamati, Antoine Orliac, avec sa théorie du métabolisme,
Paul Husson, Marcel Sauvage, ce chirurgien des roses, Pierre Bourgeois, Marcel Raval,
Maurice Martin du Gard, etc. »
« Et, dans un beau verger illusoire qu’ils
saccagent parfois, dans l’espoir de floraisons inconnues, voici Louis Aragon, André
Breton, P. Éluard et Philippe Soupault, les quatre faces du jeune dieu
Dada, autour desquels se groupe déjà toute une fervente et sympathique
jeunesse. »
Ainsi, de tous ces poètes nouveaux, dont les meilleurs
cherchent à réaliser non un classicisme d’imitation servile, mais un classicisme
moderne, fait d’équilibre, d’ordre et de compréhension de notre époque, votre
collaborateur ne trouve pour les qualifier (Paul Valéry excepté), que les termes
de « bolchevistes de la littérature », réunion d’« impuissants »,
de « paresseux, de dévoyés, d’assoiffés de publicité » et autres
aménités du même genre.
Plusieurs fois, M. Marius André, décidément plus
pamphlétaire que chroniqueur, répète ces termes au cours de sa critique. Il
insiste même avec passion, mais non sans machiavélisme. Car, sur les cent dix
noms d’auteurs que j’ai désignés aux lecteurs de Nosotros comme les plus représentatifs de notre génération, et
parmi lesquels figurent des monarchistes, des républicains, des catholiques et
des athées, votre collaborateur, à l’exclusion de tous les autres, n’en a
retenu, lui, que deux pour les lecteurs de la
Revue hebdomadaire, et l’on devine aisément lesquels : Henri Guilbeaux
et Marcel Martinet, dont on connaît les opinions révolutionnaires.
C’est ceux-là qu’il cite, ceux-là seuls qu’il
commente. Pourquoi ? Parce qu’en ne nommant que ces deux auteurs (sur les
cent dix noms de mon palmarès) votre collaborateur croit qu’il lui sera facile
de démontrer que tous les tenants de la littérature nouvelle sont, eux aussi,
des « bolchevistes », donc forcément des gens sans talent, de mauvais
écrivains.
Parlant de Guilbeaux, il écrit : « Personne
à Paris, pas même ses amis, n’oserait le traiter de grand poète. Cela ne passerait pas ; mais cela passe à
Buenos-Ayres. »
Que votre collaborateur relise le passage de mon
article concernant Guilbeaux, il constatera que le terme de grand poète n’a pas été employé par moi.
La déformation de mon texte est donc flagrante.
Libre à M. Marius André de rejeter Guilbeaux et
Martinet et d’exécrer les quatre faces du jeune dieu Dada, Louis Aragon, André
Breton, Paul Éluard et Philippe Soupault, tous quatre Parisiens de Paris. Mais
ce dont il n’a pas le droit, c’est de faire croire aux lecteurs de sa chronique
que mon étude de Nosotros sur la
nouvelle génération littéraire n’a servi qu’à l’apologie de Dada et du
bolchevisme littéraire, et n’a été qu’une « véritable offensive menée
contre les belles-lettres françaises et contre la France ».
Français ! Français ! M. Marius André pense-t-il
que je le soies moins que lui !
Et, puisqu’il place le débat sur le terrain
patriotique, je lui dirai que ce n’est pas durant mon séjour dans les tranchées,
ni à la Ligue des écrivains combattants que j’ai eu l’honneur de le connaître.
Agréez, monsieur le directeur, l’expression de mes
sentiments distingués.
Nicolas Beauduin.
Ma chronique du 3 mars est consacrée exclusivement à « la
poésie française à l’étranger », et j’ai pris des exemples dans un article
de M. Beauduin en laissant de côté les prosateurs qui n’entraient pas dans
le sujet annoncé par mon titre. M. Beauduin se livre donc à une diversion
que je ne comprends pas, il sort de la question, en donnant la liste des prosateurs
qu’il a cités, parmi lesquels il y en a que j’admire ou que j’estime et quelques-uns
qui sont mes amis.
Il y a aussi des écrivains estimables dans sa liste de
poètes ; je ne crois pas les avoir offensés en disant qu’ils sont de
second plan, c’est-à-dire bons puisque, au-dessous d’eux, je place les
médiocres et les mauvais.
C’est de ces derniers que je m’occupe. J’ai dit qu’il
y a, à l’étranger, une propagande en faveur des bolchevistes de la littérature (en
l’espèce : de la poésie) dont quelques-uns sont aussi des bolchevistes de
la politique. C’est un fait qui saute aux yeux de quiconque lit les revues
étrangères. Et je trouve des exemples dans l’étude de M. Beauduin qui contient
une apologie du « jeune dieu dada » et de ses quatre poètes « autour
desquels se groupe déjà une fervente et sympathique jeunesse ».
Il n’a pas employé le terme de grand poète en parlant de Guilbeaux ? En effet, ce n’est pas
dans l’article. Mais M. Beauduin a fait bien pis : il a fait d’un
mauvais poète condamné à mort pour trahison en temps de guerre l’un des bons
poètes de la génération présente qui « s’accorde merveilleusement au
rythme vigoureux de la France nouvelle », un poète fervent de vie, sain et
sage à la fois comme les autres et, en outre, fougueux et passionné. Ne
séparant pas la poésie de la politique de trahison, M. Beauduin a ajouté
que « depuis plus de quatre ans », Henri Guilbeaux « vit ses poèmes ».
C’est ce que j’appelle faire, à l’étranger, de la
propagande contre les belles-lettres françaises, c’est-à-dire contre la France.
L’accusation serait justifiée même si Guilbeaux était le seul des bolchevistes
de la poésie et de la politique que M. Beauduin présente à l’admiration
des étrangers. Or, il n’est pas le seul.
M. Beauduin a été dans les tranchées pendant la
guerre et il ne m’y a pas rencontré ? Cela n’a rien à voir dans le débat,
mais puisqu’il emploie un pareil argument, il me force de lui répondre qu’en
faisant volontairement, et d’une
autre manière, mon devoir contre l’ennemi de la France, j’ai risqué autant que
lui — c’est-à-dire ma vie — et perdu bien davantage.
Marius André.
La Revue hebdomadaire (Paris),
32e année, n°16,
21 avril 1923, p. 373-377.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire