Où il s’agit encore de
définir la bonne et vraie poésie moderne française, question compliquée par des
problématiques d’import-export… avec la suite des aventures du triste Marius André (1868-1927), poète
provençal, félibre mistralien puis journaliste maurrassien, critique hispanisant
et traducteur, inlassable défenseur d’une latinité sans cesse menacée de sabotage par les agents du « bolchevisme littéraire » et de la « nouveauté ».
C’est bien lui, qui signe ici sous pseudonyme.
Il leur faut du nouveau… — Cette vieille poésie
populaire est immortelle. Il y en a une autre, celle de l’an dernier qui est
déjà vieille à Paris, mais qui est la grande nouveauté aux yeux de certains
étrangers qui continuent de prendre le défunt dadaïsme au sérieux. Il y a « la
Poésie sans logique, langage de l’inconscient », savamment étudiée dans Inicial « revue de la nouvelle
génération » (mars) par le directeur de Manomètre de Lyon. Aux jeunes poètes argentins qui l’ignoreraient
encore, il apprend ceci :
Rimbaud
affirmait : l’A est noir, l’E blanc, l’U vert, l’O bleu. René Ghil
répliquait : l’U n’est pas vert, il est jaune. A noir, E blanc, I bleu, O
rouge, U jaune. Rimbaud ne voyait pas plus mal que René Ghil. Il sentait en une
forme différente : voilà tout le mystère.
C’est
très amusant de lire ces vieilleries rajeunies en espagnol dans une revue
nouvelle élégamment présentée. Il y a longtemps que le « mystère » du
sonnet des Voyelles a été éclairci
par son auteur même qui a avoué que c’est une de ses folies et fumisteries. Rimbaud
dégoûté a écrit dans sa Saison en enfer
des phrases qu’on ne saurait trop recommander aux hispano-Américains qui
veulent « faire du Rimbaud » en espagnol.
L’histoire
d’une de mes folies… J’aimais les peintures idiotes… J’inventai la couleur des
voyelles !... Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne et,
avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique
accessible un jour ou l’autre à tous les sens… J’expliquai mes sophismes
magiques avec l’hallucination des mots… Je finis par trouver sacré le désordre
de mon esprit… Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu’on enferme, — n’a
été oublié par moi.
C’est
aussi très amusant de lire dans la Revista
do Brasil (mars), cités en français, des « poèmes » d’un des
« maîtres » de la nouvelle génération :
Les
catapultes du soleil assiègent les tropiques irascibles
Riche
Péruvien propriétaire d’une exploitation de guano d’Angamos
On
lance l’Acaragnan Bananan
À
l’ombre
Les
mulâtres hospitaliers
L’oiseau
secrétaire est un éblouissement
Belles
dames plantureuses
On
boit des boissons glacées sur la terrasse
Un
torpilleur brûle comme un cigare
Une
partie de polo dans le champ d’ananas
Et
les palétuviers éventent les jeunes filles studieuses
My
gun
Coup
de feu
Un
observatoire au flanc du volcan
De
gros serpents dans la rivière desséchée
Haie
de cactus
Un
âne claironne la queue en l’air
La
petite indienne qui louche veut se rendre à Buenos Aires.
Il
y en a des pages, comme ça. M. Mario de Andrade, qui révèle cette poésie
nouvelle aux Brésiliens, trouve qu’elle est cosmique, ample, palpitante,
qu’elle réalise une correspondance exacte entre l’expression formelle et le
lyrisme pur, à laquelle se lie, par l’effort de l’attention, l’équilibre entre
la manifestation subconsciente et la conscience.
Le
poète que M. de Andrade cite, commente et glorifie, est M. Blaise Cendrars. On
lit dans le même numéro de la Revista do
Brasil :
Il
y a plusieurs semaines que se trouve parmi nous le poète Blaise Cendrars. Tous
ceux qui se préoccupent du mouvement de la poésie moderne connaissent bien sa
forte et originale personnalité…
…Saluons-le
dans son météorique passage par ce 23°36’ de latitude et 3°27’ de longitude
qu’est São Paulo.
Andrés Montserrat,
« La
vie en Amérique latine/ Revues et journaux de l’Amérique latine »
(extrait),
Revue de l’Amérique latine (Paris),
3e
année, vol. vii, n°30, juin 1924, p. 562-563.
On trouvera l’article
incriminé de Mário de Andrade (entièrement consacré à Cendrars), traduit en
français, dans le volume L’Esclave qui n’est
pas Isaura & autres textes critiques (Anthologie, 1921-1942), actuellement
en préparation.
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