Comptes rendus
de
de
parus dans la presse française & en
ligne
« La
Belle et le Parti » par Odile
Hunoult
Patrícia Galvão
(1910-1962), surnommée Pagu, est une icône de l’avant-garde littéraire
brésilienne dès la fin des années 1920, en même temps qu’une militante
communiste. Matérialisme
et zones érogènes est centré sur une
lettre à usage interne, adressée en 1940 à son futur second mari, Geraldo
Ferraz. « Document, à l’origine confidentiel, peut-être inachevé et
sans titre propre » (Antoine
Chareyre). Confidentiel et posthume, publié en 2005 par le fils qu’elle a eu de
Geraldo Ferraz sous le titre Paixão Pagu. A autobiografia precoce de
Patrícia Galvão, la passion selon Pagu.
Autobiographie précoce en effet, elle a trente ans quand elle rédige ce texte.
Tout
est précoce chez Galvão. Ses amours comme son entrée fracassante dans la
notoriété. Son
premier mari, c’est le poète et écrivain Oswald de Andrade (1890-1954) dont
elle a un fils. Union haute en couleur, qui dure de 1928 à 1935, et dont les
péripéties intimes sont chevauchées par les péripéties politiques, puisqu’elle
adhère en 1931 au Parti communiste brésilien (PCB). La lettre à Geraldo Ferraz
fait l’historique de ce premier mariage. Patrícia Galvão essaie d’être le plus
objective possible.
Le
titre choisi par Antoine Chareyre, Matérialisme
et zones érogènes, situe le contenu : pourquoi et comment une jeune
fille de la petite bourgeoisie de São Paulo devient militante communiste. À un
moment complexe de l’histoire du pays dans laquelle s’insère la complexité
vivante du parcours politique de Galvão : ses rencontres décisives, son
engagement, son militantisme, ses arrestations, ses prisons, ses cavales, etc.
Quant aux zones érogènes, ce ne sont guère les siennes, et si dans son
parcours, comme on le verra, marxisme et sexe sont liés, c’est bien malgré
elle.
En 1931, avec l’enthousiasme des néo-convertis, elle accepte d’emblée ce qu’on lui demande, de ne pas avoir d’attachements petits-bourgeois, et elle sacrifie son couple (déjà boiteux) et son fils qui vient de naître, Rudá de Andrade, qu’elle abandonne et reprend au gré de ses tribulations et, il faut bien le dire, de son inconscience : elle a 21 ans à sa naissance. On ne naît pas parent, on le devient sur le tas et en l’occurrence le tas c’est le bébé. De cela elle n’est pas fière. Mais elle accepte et justifie la mainmise du parti sur la vie privée des militants. Prouver à la hiérarchie, jusqu’à l’absurde, sa bonne foi est alors son premier choix.
En 1931, avec l’enthousiasme des néo-convertis, elle accepte d’emblée ce qu’on lui demande, de ne pas avoir d’attachements petits-bourgeois, et elle sacrifie son couple (déjà boiteux) et son fils qui vient de naître, Rudá de Andrade, qu’elle abandonne et reprend au gré de ses tribulations et, il faut bien le dire, de son inconscience : elle a 21 ans à sa naissance. On ne naît pas parent, on le devient sur le tas et en l’occurrence le tas c’est le bébé. De cela elle n’est pas fière. Mais elle accepte et justifie la mainmise du parti sur la vie privée des militants. Prouver à la hiérarchie, jusqu’à l’absurde, sa bonne foi est alors son premier choix.
Pourtant,
considérée comme intellectuelle petite-bourgeoise en ces temps de « prolétarisation »
des cadres, elle est une première fois mise à l’écart en 1932 comme
dangereusement remuante, attirant trop l’attention. En brave petit soldat naïf,
toujours pour prouver sa bonne foi et la pureté de son engagement, elle écrit
et publie en 1933 Parc industriel, roman
prolétaire (1) — roman d’une militante, roman de l’avant-garde aussi, haut
en couleur, brillant, provocant, insolent et en même temps attachant de
sincérité et de fougue idéaliste — exactement à l’image de son autrice et du
présent document.
Il
y aura mieux. Le parti organise l’utilisation rationnelle des compétences. Pense-t-elle
que ce sera son charisme ou ses dons d’oratrice ? En l’occurrence, ce
seront les compétences d’une fille désirable, depuis son adolescence en proie
aux harcèlements, « prévalant en
nombre sur n’importe quel autre événement [de sa vie] ». Son charme et
sa beauté, et l’effet qu’ils produisent, elle a appris très tôt à les
connaître, plus ou moins à ses dépens, mais très vite elle les subit plutôt. « Mon être tout entier méprisait la moindre
forme d’insinuation. Comme on donne de l’importance, partout, à la vie sexuelle !
On dirait qu’il y a dans le monde plus de sexes que d’hommes… D’ailleurs, il y
a tellement de puérilité, tellement de médiocrité dans ce sujet, je veux dire
la manière dont l’humanité envisage ce sujet, que l’indignation s’en trouve
presque éliminée. J’ai toujours été vue comme un sexe. Et j’ai pris l’habitude
d’être vue ainsi. Tout en les repoussant par absolue incapacité, je trouvais
presque des justifications aux insinuations qui m’accompagnaient. Partout. Je déplorais
tout au plus le manque de liberté qui en découlait, la gêne aux heures où je
voulais être seule. »
Ses
sentiments, les cadres du parti (à noms de code) n’ont pas à les examiner, ils
entendent exploiter d’une part l’appétence naturelle du mâle (sud-américain, n’extrapolons
pas) et d’autre part l’idéalisme d’une militante fanatiquement dévouée et
commodément cataloguée comme pas farouche, au regard des habitudes et des
conceptions de son milieu d’avant-garde — ou plutôt de ce qu’on croit en
savoir. En même temps, ceux qui l’utilisent ne seraient pas mécontents d’en
profiter aussi. C’est le lot de Pagu d’être un objet sexuel. Cela donne du
reste des lumières sur les caves intimes de son roman Parc industriel, qui pourrait bien avoir pour sous-titre Matérialisme et zones érogènes : un
critique avait d’ailleurs regretté que « pour l’auteur, l’objectif de la révolution soit de résoudre la question
sexuelle ».
Elle
va donc servir d’appât pour tester la fiabilité des sympathisants, des cadres
même, pour les faire parler, ou obtenir d’eux des papiers — inutiles au
demeurant. Elle accepte ce rôle, bien que, outre la méthode, le flicage interne
blesse l’image qu’elle se fait et d’elle et de son parti. Que la politique soit
cynique, c’est un fait. La drôlerie en l’espèce vient de la contradiction entre
le puritanisme de l’idéologie, la condamnation des sentiments familiaux
petits-bourgeois, et les moyens employés.
Elle
commence à regimber. On lui envoie d’autres coaches
plus habiles. Elle se soumet. On la fourre dans les bras d’un homme qu’elle
admire (Ademar de Barros) et qui la méprise en retour pour le jeu qu’elle joue
— qu’on lui fait jouer. Elle est humiliée par ce mépris ; pourtant, là
encore, elle accepte. « Ma foi
demeurait inébranlable. Je critiquais tout au plus, en mon for intérieur, les
erreurs commises. Il était juste qu’il y eût des erreurs. L’expérience et la
lutte amélioreraient le travail. Nous étions au début de la lutte au Brésil
[…] Je lutterais jusqu’à ce que je tombe
en morceaux ». Car ce n’est que d’elle qu’il s’agit, de son corps et
de sa fierté, et dans sa ferveur elle se compte pour pas grand-chose. L’important
est la lutte, elle est sans pitié pour elle-même.
C’est
le parti lui-même qui la met sur la touche, en l’envoyant balader au sens
propre. Incontrôlable et trop connue de la police, elle est devenue gênante. On
l’expédie voir du pays. Elle part en août 1933 pour un grand périple, Japon,
Chine, Russie, France, et toujours l’enthousiasme au cœur. Mais, à Moscou, la
vue des enfants mendiants au pays des Soviets aura sur son fanatisme (elle
emploie alors le mot) un tout autre impact.
En
octobre 1935, elle est de retour à Rio. Dès 1936, semble-t-il, elle s’engage
dans la dissidence, se rapproche du trotskisme. Une des annexes données par
Antoine Chareyre, la Lettre d’une
militante (1939), marque sans ambiguïté la rupture. À la suite de la
diffusion de sa lettre, elle est expulsée du PCB. La notice accusatrice est
savoureuse : « Patrícia Galvão
[…] bien connue pour ses attitudes
scandaleuses de dégénérée sexuelle ».
Il
reste que l’humiliation de n’avoir pas dit non tout de suite est probablement
un moteur de cette autobiographie. Peut-on toujours dire non ? Tout le
récit cherche à justifier, à ses propres yeux et devant Geraldo Ferraz,
pourquoi elle ne l’a pas fait. Confession plutôt qu’autocritique, et plaidoyer pro domo bien sûr, mais efficace par sa
sincérité, son honnêteté. Ainsi, malgré ses griefs d’épouse, elle rend hommage
à la droiture, à la solidité et à la fraternité d’Oswald de Andrade. Il apparaît,
lui l’intellectuel bourgeois débauché, bien plus net que beaucoup des membres
du parti à qui elle a eu affaire.
Trois
annexes — La femme du peuple (1931), Lettre d’une militante (1939), Vérité et liberté : pourquoi j’ai
accepté de revenir (1950) — donnent un bon résumé de l’évolution politique de Pagu. Les rebondissements de son parcours, pas forcément explicites dans son texte, puisqu’il est adressé à un homme qui connaît cela de l’intérieur, la complexité de l’histoire du PCB, le nombre des personnages cités, rendent indispensable la consultation de la chronologie et du glossaire d’Antoine Chareyre : son érudition fait du livre un objet complet, littéraire, politique, anecdotique, intimiste, touchant aussi bien à la grande histoire qu’à l’histoire littéraire et à l’histoire des mœurs. Pagu fait le reste, il y a en elle quelque chose d’ardent, qui emporte. Et qui emporte aussi son traducteur : on sent sa sympathie pour son sujet. Il nous la fait partager.
1.
Traduit par Antoine Chareyre (2015), également aux éditions Le Temps des
Cerises.
Compte rendu par Frédérique
Guétat-Liviani
Sitaudis.fr, 7 avril 2019, rubrique « Les parutions »
Pagu sort de prison. 4 ans de prison dans les
geôles du dictateur Vargas. Nous sommes en 1940 et Pagu n’est plus l’égérie de
l’Avant-garde artistique brésilienne, elle ne se présente plus aux concours de
beauté et n’essaie plus de prouver sa légitimité au sein du Parti Communiste.
Pagu est presque morte, elle ne se ressemble plus. Son corps n’est que peau et
os. Alors, si elle écrit, c’est pour tenter de reprendre corps dans le réel, et
donner sens au combat mené.
Cette Autobiographie précoce est une lettre adressée à Geraldo Ferraz, écrivain antifasciste, l’homme
aimé, qu’elle épousera en secondes noces. Ce texte tente de mettre en lumière
tous les replis de la vie de l’auteur, ses moindres commissures, afin d’y voir
plus clair. L’unique objet de son écriture est le retour à la vie, dans son
plein jour. Sans volonté littéraire, c’est sa brutalité qui œuvre dans cette
langue lavée de toutes fioritures. Cette langue qu’on avait découverte dans Parc industriel, ce roman prolétaire qui se voulait outil de propagande pour la
révolution, mais qui sous la plume de Pagu, était devenu un superbe collage de
langages lacérés, entaillés, découpés, donnant à ce roman une forme
parfaitement inédite. Il en est de même pour cette autobiographie précoce dont la seule ambition est la franchise et l’affranchissement. Antoine
Chareyre, qui avait déjà traduit en français Parc industriel, nous présente cette fois-ci Matérialisme
& zones érogènes enrichi d’un glossaire en fin d’ouvrage qui permet de contextualiser les
noms cités, ainsi qu’une chronologie donnant des repères historiques dans la
vie de l’auteur.
Le motif de Matérialisme & zones érogènes, c’est cette revendication du vrai, du sincère
qui hante l’œuvre-vie de Pagu. On suit la traversée d’une fille de la
bourgeoisie qui pourrait facilement prendre le chemin que d’autres ont tracé
pour elle. Dans une note de lecture signée A. D. à propos de Parc industriel, on peut lire : « Elle qui
pouvait, par sa beauté, conquérir les millionnaires, préféra conquérir les
misérables. Elle qui pouvait vivre dans le luxe, préféra vivre simplement. »
En effet, Pagu aurait pu se mettre à l’abri du monde. Pour cela, elle aurait dû
mentir, et se mentir. Mais pour Pagu le mensonge est contraire à la vie,
contraire à la lumière. Ne pas mentir, refuser la comédie sociale, rejeter
l’appartenance à un milieu quel qu’il soit sans trahir ses convictions, voilà
le chemin que choisit Pagu. Pour une femme, jolie qui plus est, qui naît en
1910 au Brésil, c’est un chemin qui ressemble fort à celui de la croix. Son
premier combat, dès son plus jeune âge, sera la reconquête de son corps spolié.
Pagu ne sera pas choisie, c’est elle qui choisira les amants, s’affichera
auprès d’eux et aux yeux de tous, tandis que les petites normaliennes ne rougiront pas de la débauche, tant qu’elle est bien dissimulée.
L’absolue sincérité de Pagu va révolutionner
sa vie, et par là même, celle des autres. Le sexe de Pagu n’est pas
messianique, le corps des femmes est poreux. De ce fait décrété inapte à la
parole sacrée. Pagu s’en fout. Elle dit ce qu’elle pense et pense ce qu’elle
dit. C’est tellement rare. Elle se moque des intellectuels, des artistes, qui
prônent l’omnipotente liberté et vivent comme de parfaits petits bourgeois. La
lucidité de son regard sur le monde artistique de son temps, éveillera sa
conscience politique et la fera rejoindre les rangs du Parti Communiste
brésilien. Mais très vite, elle ne supportera pas plus les discours creux des
intellectuels que les mots d’ordre dogmatiques des cadres du Parti. La seule
chose qui l’affecte vraiment, c’est la misère du peuple, la souffrance des
enfants.
Au fil des pages, le corps de Pagu réclame
toujours plus d’espace et de mouvement. C’est ce corps si libre que tentent
d’asservir les avant-gardistes d’abord, les communistes, puis les fascistes qui
l’emprisonnent. Son premier mari, le grand écrivain Oswald de Andrade, affiche
une sexualité qu’il désire sans entraves, mais il est incapable d’assumer la
jouissance du corps libre de Pagu. Pagu se plonge dans la soumission absolue,
non pas à l’homme mais à l’amour. Pagu parle d’anéantissement, d’abandon et de don. Autant que de franchise et de vérité. Sur ce chemin qui
la mène à la révolution, elle est seule, très seule. Ce ne sont pas les masses
qu’elle rencontre, mais toutes sortes de prédateurs. « Il entra dans ma petite chambre à la
recherche de viande. Comme il était révoltant et ridicule, ayant quitté l’habit
communiste. » Heureusement, quelques figures resteront à jamais
intactes, comme celle d’Herculano le colosse noir qui meurt dans ses bras alors
que la police vient de tirer dans la foule des manifestants.
Au sein du Parti, elle subira grand nombre de
souffrances et d’humiliations, qu’elle accepte sans se plaindre. Cependant,
elle se questionne : « Était-ce
l’extase qui m’envahissait ? » Malgré ce sentiment d’extase, Pagu
ne se départit pas de son sens de l’humour, elle voit le comique dans bon
nombre de situations. Lorsque, par exemple, le Parti l’envoie en tenue de
ville, portant une arme lourde, pour protéger le lieu d’une réunion secrète. « …ma joie était pénétrée d’une foi absolue ».
C’est alors que le Comité fantôme demande à Pagu de montrer son parfait
dévouement à la cause révolutionnaire. Mais aucun sacrifice n’est suffisant, le
Parti l’ostracise, il lui faut s’exiler. Elle part en Russie, doit passer par
le Japon, la Mandchourie, la Chine. De ce périple, elle dit : « les harcèlements sexuels prévalent en nombre
sur n’importe quel autre événement. » Elle dit aussi : « …ma situation de femelle face aux chiens
renifleurs ». Au Japon elle s’ennuie, ce n’est qu’en Chine qu’elle
sent à nouveau couler en elle le sang de la révolution. Elle aime la Chine,
malgré la multitude des morts. Elle aime la Chine et la révolution qui naît,
sous la putréfaction des corps qui revivront bientôt. Pagu fait un long et
tragique voyage, elle reste avare de détails et jamais ne se prend au jeu du
grand reportage. Elle sait que l’aventure ne se joue pas ailleurs qu’en
nous-mêmes. « Comme il était
emmerdant, le Sungari avec les petits bateaux en promenade. Comme ils étaient
emmerdants les cabarets. Comme ils étaient emmerdantissimes les nobles russes
en exil. Comme elle était insupportablement crétine, la présence des
intellectuels. »
Lorsque Pagu arrive enfin en Russie, au pays idéal, c’est la fin du
voyage. Son regard croise celui d’une petite mendiante affamée. « Alors la Révolution avait été faite pour
ça ? Pour que perdurent l’humiliation et la misère des enfants ? »
Pagu ouvre les yeux. La révolution prolétarienne a bel et bien été confisquée
au peuple russe. L’URSS est l’incarnation du mensonge. Cependant Pagu ne renie
rien de ses convictions. Communiste, elle l’est et le restera jusqu’au dernier
souffle. Matérialisme & zones érogènes (Autobiographie
précoce) est suivi de trois
autres témoignages de Pagu qui dénoncent l’hypocrisie sous toutes ses
formes : l’hypocrisie des mœurs dans Les petites normaliennes, texte plein de drôlerie paru en 1931, puis Lettre d’une militante, paru dans un bulletin ronéotypé datant de février 1939, qui critique
sévèrement la bureaucratie soviétique que l’auteur accuse de s’être emparé du
pouvoir, d’avoir trahi le communisme pour produire à son tour des
« héritiers » et de ce fait forcément, des « déshérités »,
Pagu affirme qu’en ne dénonçant pas cette trahison, elle craint « d’être complice d’une catastrophe historique ».
Puis, dans Vérité et Liberté en 1950, elle revient sur ses années de détention, sur les persécutions
qui lui furent infligées par la police d’État tout autant que par les membres
du Parti devenu stalinien.
À la fin, elle écrit : « Maintenant, je sors d’un tunnel.
J’ai
plusieurs cicatrices, mais JE SUIS VIVANTE. »
« Pagu,
une communiste rebelle » par Michael
Löwy
Les Lettres françaises, nouv. série, n°6 (172), juin 2019,
p. 9
Voici
un livre fascinant, étonnant et inclassable, une sorte d’OLNI, objet littéraire
non identifié. On pourrait peut-être le désigner comme une « autobiographie
subjective », décrivant les sentiments et les angoisses, plutôt que les
événements « factuels », dans la vie de l’écrivaine communiste
(rebelle) brésilienne Patrícia Galvão (1910-1962), mieux connue comme « Pagu ».
Il s’agit d’un tapuscrit, rédigé lors de sa sortie de prison en 1940, sous
forme de lettre adressée à son compagnon Geraldo Ferraz, où elle lui raconte
quelques épisodes de sa vie ; le récit, qui s’interrompt en 1934, ne sera
publié que bien après sa mort, en 2005, sous le titre Paixão Pagu. Comme elle l’explique dans ces pages, toujours en s’adressant
à Geraldo Ferraz, « je n’écris pas
une autobiographie pour la publication ou pour les historiens. Tout cela ne
vise qu’à t’en donner un peu plus sur moi-même, sur les sensations et les
émotions qui furent les miennes. »
Heureusement
le traducteur, Antoine Chareyre, a ajouté en annexe une chronologie précise et
bien documentée, qui permet de reconstituer l’ensemble de son parcours
tourmenté et flamboyant. On pourrait décrire la vie de Pagu comme une comète
brûlante qui traverse le firmament culturel et politique du Brésil au cours de
la première moitié du xxe siècle.
Résumons
très brièvement les principaux moments de cette histoire singulière et
aventureuse. À l’âge de 18 ans la jeune Patrícia Galvão rejoint le groupe
d’écrivains et artistes modernistes brésiliens autour de la célèbre Revista de Antropofagia (1928-29). Un
des poètes « anthropophages », Raul Bopp, lui dédie un poème en la
baptisant du sobriquet « Pagu », et un autre, Oswald de Andrade, va l’épouser ;
le mariage n’est pas très heureux — le manuscrit décrit en détail les
souffrances affectives de la jeune épouse — et se terminera par une rupture.
En
1931, Pagu rencontre en Uruguay le célèbre révolutionnaire brésilien Luis
Carlos Prestes, qui la convertit au communisme. Ce sera le début d’un
engagement militant courageux, qui conduira à des affrontements avec la police
— désavoués par le Parti — et à son emprisonnement en cette même année :
elle aura l’honneur d’être la première femme prisonnière politique dans l’histoire
du Brésil ! Avec Oswald de Andrade elle publie un éphémère journal
politique, O Homem do Povo, où
elle fera paraître plusieurs articles sur la condition féminine, qui lui
vaudront jusqu’aujourd’hui d’être considérée comme la pionnière du féminisme
moderne au Brésil. Toujours recherchée par la police, en fuite avec son mari
Oswald de Andrade, elle publie en 1933 Parque
industrial, le premier roman prolétarien paru au Brésil. Le Parti
Communiste se méfie de cette militante trop turbulente, et finalement, en 1934,
lui conseille, mieux, lui ordonne, de faire un séjour, le plus long possible, à
l’étranger.
Ce
voyage la conduira, entre autres, en Chine, à Moscou — objet d’un « émerveillement fanatique » — et à
Paris, où elle rencontre benjamin Péret, Paul Éluard, Louis Aragon et René
Crevel (qui lui téléphone à la veille de son suicide) ; participant à des
affrontements avec la police française en 1935, elle sera blessée, arrêtée et
finalement expulsée au Brésil.
Lors
de la répression qui suit la tentative avortée de soulèvement communiste en
1935, elle sera à nouveau arrêtée par la police brésilienne. Son ami Geraldo
Ferraz va l’aider à s’évader en 1937, mais elle sera bientôt rattrapée par les
pandores. En prison, elle se rallie (1937) à la dissidence communiste dirigée
par le secrétaire du Parti à São Paulo, Herminio Sachetta. Lorsque ce courant
va s’unifier en 1939 avec les trotskystes dirigés par Mário Pedrosa, Pagu,
toujours en prison, sera élue présidente d’honneur du nouveau Parti socialiste
révolutionnaire, section brésilienne de la Quatrième Internationale…
Finalement
libérée en 1940, elle va rédiger cette longue lettre autobiographique à son
compagnon. Elle n’abandonne pas son engagement socialiste, d’abord dans le
journal Vanguarda Socialista
(1945-48), fondé par Mário Pedrosa (devenu un dissident du trotskysme), et plus
tard dans le Parti socialiste brésilien, jusqu’à sa mort prématurée en 1962. Longtemps
oubliée, Pagu fait l’objet, depuis quelques années, d’un vif intérêt au Brésil,
qui se traduit par l’édition de ses écrits et de travaux sur sa vie.
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