23 novembre 2016

Luis Aranha à l'université : cocktail !

Voix singulière de la génération moderniste de 1922, proche de Mário de Andrade, collaborateur de la fondatrice revue Klaxon, Luís Aranha (1901-1987) — « le taciturne », comme l’écrivit Blaise Cendrars qui ne croyait peut-être pas si bien dire — abandonna toute ambition littéraire vers 1924, définitivement.
Son œuvre — un petit ensemble de 26 poèmes archivés sitôt réunis sous le titre Cocktails — restée à l’état de tapuscrit et promise à l’oubli, amplement commentée par Mário de Andrade en 1932, fut publiée en volume pour la première fois (et dernière ?) en 1984 au Brésil, traduite en français en 2010, puis en espagnol en 2012… Une figure presque parfaite, en somme, de l’inédit et du posthume.
Or voilà que la poésie discrètement incontournable de Luís Aranha fait l’objet d’une thèse universitaire qui promet, enfin, d’en proposer une analyse et une interprétation véritables, nécessaires, attendues.

Soutenance de thèse
en Théorie et Histoire littéraire

Uma leitura de Cocktails
Justaposição de imagens e associação de ideias
na poesia de Luís Aranha

par Júlio Bernardo Machinski

sous la direction de
Maria Eugênia Boaventura

le 24 novembre 2016 à 14h30
à l’Instituto de Estudos da Linguagem
de l’Universidade de Campinas (IEL-Unicamp)

Membres du jury :
Leandro Pasini (UNIFESP)
Ivan Francisco Marques (USP)
Augusto Massi (USP)
Rui Moreira Leite (USP)

Résumé À travers ses poèmes à caractère moderniste, dont le registre lyrique se fonde sur la réélaboration d’emprunts aux expressions poétiques des avant-gardes européennes, Luís Aranha propose une reconstitution dionysiaque et critique, fondée sur l’ironie et l’humour, du processus de transformation du paysage urbain de São Paulo, ainsi que des modes de vie au début du XXe siècle, conséquence du soudain développement technologique de la dite seconde révolution industrielle. À cette fin, le poète a recours, en particulier, aux procédés formels futuristes et cubistes que sont le collage, la rupture syntaxique, la juxtaposition d’images et l’association d’idées. De la sorte, Aranha contribue de manière significative au renouvellement du code littéraire brésilien en un moment de transition entre la poésie post-romantique et la poésie moderniste. Ce travail analyse un ensemble de dix poèmes choisis dans Cocktails, en suivant le dialogue établi par Luís Aranha avec quelques noms de la poésie française moderne, en particulier Rimbaud, Cendrars et Apollinaire. [trad. A. C.]

*

Faute d’être à Campinas pour assister à cet événement, on ira lire ou relire, sans attendre :

Luís Aranha, Cocktails (Poèmes choisis) suivi d’une étude par Mário de Andrade
(éd. & trad. d’Antoine Chareyre, La Nerthe, 2010)
&
la préface de Juan Manuel Bonet à l’édition espagnole de Cocktails, traduite en français ici-même.


Le blog Bois Brésil & Cie se proposera de rendre compte, prochainement, des principaux apports de cette thèse.

20 novembre 2016

La critique d'avant-hier soir


Nous avons reçu du poète « moderniste » mexicain Manuel Maples Arce une série de poèmes rassemblés sous le titre extravagant de Poèmes interdits (?). Ce recueil de vers (car c’est ainsi que le poète veut nous présenter sa prose) justifie tout ce que nous avons toujours pensé de l’absurdité d’un art d’avant-garde dont l’unique audace est d’autoriser la bêtise en littérature. Nous publions ci-dessous un poème du poète mexicain, non sans quelques commentaires :



T. S. F. (Télégraphie sans fil, un fameux titre pour un poème).

Sur le précipice nocturne du silence (Il serait curieux de voir un précipice du silence).
les étoiles lancent leurs programmes, (C’est comique, on voit déjà les étoiles habillées en colombines avec leurs gants noirs lancer des programmes de Pagliacci — à on ne sait qui).
et dans l’audion (audion à l’endroit pas plus qu’à l’envers n’est un mot espagnol) inverse du songe,
se perdent les paroles
oubliées. (Ce qui se perd s’oublie).

T. S. F.
des pas
enfoncés
dans l’ombre
vide des jardins.
Le cadran
de la lune mercurielle
a aboyé l’heure aux quatre horizons. (waou ! waoua !, dit la pauvre lune aux quatre horizons en tirant leur montre de poche).

La solitude
est un balcon
ouvert sur la nuit. (Où il est expliqué que la « solitude » n’est pas « un lieu désert » mais un balcon. Merci).

Où est donc le nid
de cette chanson mécanique ? (Nulle part, oh jeune poëte !)
Les antennes insomniaques du souvenir
recueillent les messages
sans fil
de quelque adieu effiloché. (On aimerait voir les antennes en manque de sommeil et à quoi ressemblent les adieux effilochés).

Femmes naufragées
qui ont confondu les directions
transatlantiques ; (Les naufragés en général ne se trompent pas par plaisir).
et les voix
de détresse
comme des fleurs (Nous n’avions jamais pensé que les voix fussent comparables à des fleurs ni surtout qu’elles puissent éclater)
éclatent dans les fils
des pentagrammes
internationaux.

Mon cœur
suffoque dans la distance.
Maintenant c’est le Jazz-Band
de New York ;
ce sont les ports synchroniques
fleuris de vice
et la propulsion des moteurs. (Ces vers sont si profonds qu’il est impossible de les commenter).

Asile de Hertz, de Marconi, de Edison ! (et de Manuel Maples Arce).

Le cerveau phonétique mélange (Le cerveau mélange et distribue les cartes).
la perspective accidentelle
des langues.
Hallo !

Une étoile d’or
est tombée dans la mer. (?) (Quel dommage pour l’étoile et quelle bonne nouvelle que ces vers soient terminés !)


Parisina,
Espejo de las elegancias parisienses,
Revista artistico-literaria mensual (Paris)
(directeur-propriétaire : C. D. Battemberg ; rédacteur en chef : León Pacheco)
n°17, 15 décembre 1927
p. 22, « Los libros » (rubrique non signée)

(Trad. A. C.)


N.B. : Le poème « T.S.F. » — incontestable fleuron de la poésie stridentiste de Maples Arce — ainsi que le recueil Poèmes interdits figurent en traduction française dans le volume Stridentisme ! publié par Le Temps des Cerises en 2013.

Le même Maples Arce trône actuellement dans un beau tableau exposé au Grand Palais.

Qu’on se le dise, & qu’on lise !

2 novembre 2016

Vient de paraître


Retendre
la corde vocale

Anthologie de la poésie
brésilienne vivante

organisée, traduite & présentée
par Patrick Quillier

Peintures & gravures de Gérard Serée

& Le Temps des Cerises (Montreuil)
264p., 20€




Présentation des éditeurs :

Le monde de la communication globalisé véhicule sur le Brésil tantôt une cargaison d’images d’Épinal tropicales, tantôt un flot infini d’informations tragiques : misère extrême ; violence ; notamment contre les amérindiens ou les noirs ; déforestation ; corruption endémique et institutionnalisée, etc. Dans le même temps, le Brésil est présenté comme « une puissance émergente » dans le concert économique mondialisé. Cette anthologie souhaite présenter une autre réalité du Brésil, celle que font vivre, dans leur diversité, leur foisonnement même, mais aussi leur étonnante et admirable énergie, des poètes, femmes et hommes, de plusieurs générations et venus des quatre coins du pays comme de la diaspora. Voix de femmes, voix d’hommes, aux timbres, aux tessitures et aux rythmes différents, ils font entendre dans ce volume la bouleversante et roborative polyphonie de tout un peuple. La traduction s’attache à donner à entendre dans notre langue cet hymne pluriel à la vie qui triomphe, en dépit de terribles adversités. L’abstraction lyrique de Gérard Serée vient faire un dynamique contrepoint graphique à toutes ces voix.