30 décembre 2013

Copinage pan-latino-américain (2) - Là où il faut être

Présentation
du livre Stridentisme !
de Maples Arce*

avec la participation
de Serge Fauchereau,
de Juan Manuel Bonet
et du traducteur

Mercredi 15 janvier à 19h à l’Instituto Cervantes
(7 rue Quentin Bauchart, Paris 8e)

Entrée libre


*En librairie :
Manuel Maples Arce, Stridentisme ! Poésie & Manifeste (1921-1927)
Edition bilingue & illustrée
Textes réunis & établis, traduits de l’espagnol (Mexique), présentés & annotés par Antoine Chareyre
Le Temps des Cerises (Paris), coll. « Commun’art », 16 x 16 cm, 372p., 25€

29 octobre 2013

Dans la presse française 11 (reprise)

Belle et précise recension du volume Pathé-Baby dAntónio de Alcântara Machado, par le critique et universitaire brésilien Augusto Massi dans les « Notes de lecture » de la revue Europen°1012-1013 d’août-septembre (p.349-351).



Rappel des titres

Autour du Modernisme brésilien représenté dans les sections « Anthropophagie » et « Futurisme international », actuellement dans l’exposition « Modernités plurielles » du Centre Pompidou, un petit rappel bibliographique…


L'Anthropophagie, encore... (2)

Pour célébrer à sa manière la section « Anthropophagie », actuellement dans l’exposition « Modernités plurielles » du Centre Pompidou, le blog Bois Brésil & Cie redonne sans commentaire, ici-même, son...

Petit historique
des
traductions françaises
du
Manifesto antropófago
d’Oswald de Andrade
pour servir
aux esprits compulsifs.

Revista de Antropofagia (SP), n°1, mai 1928.

1) par P. F. de Queiroz-Siqueira, dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse, n°6, juin 1972, « Destins du cannibalisme » ;

2) par Erdmute Wenzel White, dans E. W. White, Les années vingt au Brésil : le Modernisme et l’avant-garde internationale, Paris, Éditions hispaniques, « Thèses, mémoires et travaux », 1977 ;

3) par Béatrice de Chavagnac, dans B. de Chavagnac/ O. de Andrade,  Premier volume de la Grande Encyclopédie « Miam-Miam » qui traite, pour cette fois, du Cannibalisme, Paris, Le Couteau dans la Plaie, 1979 ;

4) par Jacques Thiériot, dans : a) Europe, n°599, mars 1979, « Le modernisme brésilien » (org. par Pierre Rivas) ; b) O. de Andrade, Anthropophagies, Paris, Flammarion, « Barroco », 1982 ; c) Modernidade : art brésilien du XXe siècle (catalogue d’exposition), Paris, Association française d'action artistique, 1987 ; d) Art dAmérique latine, 1911-1968, Paris, Centre Georges Pompidou, 1992 ; e) [en un large extrait qui vaut presque rééd.] Antje Kramer (éd.), Les grands manifestes de l’art des XIXe et XXe siècles, Beaux Arts éditions, 2011 ;

5) par Benedito Nunes, dans Luís de Moura Sobral (org.), Surréalisme périphérique, Université de Montréal, 1984 ;

6) par David Sanson et Danielle Schramm, dans Mouvement, n°36-37, sept.-déc. 2005, dossier « Brésil » ;

7) par [Cédric Vincent ?], dans O. de Andrade, Manifestes, présentation de Cédric Vincent, Bordeaux, Didier Lechenne / Galerie Cortex Athletico, « Tract, archives manifestes », 2006 [tract hors commerce ; voir www.lechenne.fr] ; 

8) par Michel Riaudel, dans Papiers (Revue du Collège international de philosophie), n°60, sept. 2008, « Brésil-Europe : repenser le mouvement anthropophagique »
{parution en ligne exclusivement : http://www.ciph.org/fichiers_papiers/Papiers60.pdf} ;

9) par Silveane Lucia Silva, dans S. L. Silva, « L’anthropophagisme » dans l’identité culturelle brésilienne, L’Harmattan, « Pouvoirs comparés », 2009 ;

10) par Lorena Janeiro, dans O. de Andrade/ Suely Rolnik, Manifeste anthropophage/ Anthropophagie zombie, Montreuil-sous-Bois, Blackjack éditions, « Pile ou face », 2011.

Là où il faut être

Les modernistes brésiliens
au Centre Pompidou !

À l’occasion, le blog Bois Brésil & Cie a pu évoquer l’histoire de l’unique toile de Tarsila do Amaral conservée en France, A Cuca (1924), se proposant de « militer pour que cette toile quitte un peu la réserve du Musée de Grenoble et en regagne les cimaises », tout en remarquant son absence parmi les documents anecdotiques rassemblés tout récemment autour de l’artiste, dans le cadre de « Nouvelles vagues » au Palais de Tokyo, « un timide retour à Paris pour Tarsila, mais qui indique peut-être, au sein d’une exposition collective de ce type, que sa notoriété tend à être acquise, dans les institutions et circuits culturels internationaux ».
On ne croyait pas si bien faire, car la revoilà, enfin, visible au public, et qui plus est en belle compagnie, au cœur d’un événement muséologique dont le propos dit assez dans quelles conditions le Modernisme brésilien semble pouvoir s’installer dans notre imaginaire culturel contemporain, et inversement, à quelles révisions théorico-critiques cette intégration peut participer dans le domaine de lhistoire de lart, ce qui serait d’ailleurs la conséquence logique des revendications des Brésiliens eux-mêmes, qui furent pleinement conscients de leur position et de leur action stratégique, dans le système internationalement hiérarchisé de l’art comme dans la république mondiale des lettres.

Tarsila, A Cuca (1924)


Le Musée National d’Art Moderne du Centre Pompidou propose actuellement une nouvelle présentation de sa collection moderne, un accrochage qui, sous le titre « Modernités plurielles », « privilégie une approche ouverte et enrichie de l’art de 1905 à 1970. Tous les continents sont représentés dans cette sélection comprenant plus de 1000 œuvres et près de 400 artistes, qui opère un rééquilibrage des différentes régions du monde pour proposer une géographie élargie de l’art. Le parcours intègre ainsi, aux côtés des différents courants européens de l’art, les expressions artistiques qui se sont développées aux États-Unis, en Amérique latine, en Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique. Cette lecture de l’histoire de l’art remet aussi en lumière un certain nombre d’esthétiques et d’artistes injustement négligés. […] elle montre à la fois le déploiement international des grandes impulsions modernistes et les expressions artistiques issues de régions jusqu’alors tenues pour périphériques. »

Il n’est pas certain que ce « regard nouveau », somme toute bien dans l’air du temps, et prétendument « informé par les recherches menées dans les différents champs de la connaissance », tienne ici toutes ses promesses, notamment en raison d’un rassemblement empirique, et donc un peu arbitraire, des œuvres exposées. Mais voilà qu’il nous réserve une section « Anthropophagie », placée sous l’ascendant idéologique d’Oswald de Andrade et entièrement consacrée au Modernisme brésilien. C’est dans cette salle que trône, avec un mur pour elle seule, la toile de Tarsila do Amaral ordinairement déposée au Musée de Grenoble : A Cuca (1924), huile sur toile de 72 x 100 cm conservée avec son cadre en bois et peau de serpent réalisé par le décorateur Pierre Legrain pour la première exposition individuelle de l’artiste, à la Galerie Percier, à Paris, en 1926, dont le catalogue est présenté en vitrine (ainsi que celui de la deuxième exposition parisienne de Tarsila, en 1928). D’autres artistes non moins emblématiques de la génération moderniste brésilienne l’y accompagnent : Vicente do Rego Monteiro, avec A caçada (1923), O menino e os bichos (1925) et Le buveur (1925) ; Emiliano Di Cavalcanti avec une Danse populaire brésilienne (1937) ; Lasar Segall avec Un atelier de peintre avec une accordéoniste (1937) et Lucy (Retrato de Lucy VI) (1936). Sur les murs, quelques citations emblématiques : des propos épistolaires de Mário de Andrade (exhortant Tarsila la Parisienne, en 1923, à abandonner l’avant-garde française pour rebrésilianiser son art : « Tarsila, Tarsila, reviens en toi-même. Abandonne Gris et Lhote. Abandonne Paris. Tarsila ! Tarsila ! Reviens dans la forêt vierge. »), des revendications de Flavio de Carvalho, un extrait du Manifesto da Poesia Pau Brasil (1924) d’Oswald de Andrade, sans oublier une reproduction grand format des pages de la Revista de Antropofagia contenant son Manifesto antropófago (1928)… Les éléments de contextualisation sont bien chiches et tel quel, l’ensemble demeure assez peu lisible. Encore une fois, c’est essentiellement sous le signe de l’Anthropophagie (plus vendeur ?) que l’on croit devoir présenter, en l’y réduisant excessivement, le Modernisme brésilien, mais quelle pertinence y a-t-il à rassembler des œuvres disparates, datées de 1923 à 1937, autour d’un sous-courant moderniste (le plus radical, certes) qui n’a opéré en tant que tel qu’en 1928 et 1929 ?

Un peu plus loin, la section « Futurisme international » nous rappelle encore la contribution brésilienne à l’histoire de l’avant-gardisme mondial. Une vitrine donne à voir la revue Klaxon (1922), le premier organe du groupe moderniste de São Paulo, qui ne se revendiquait pas « futuriste », mais « klaxiste » (ainsi que le précise une citation affichée sur le mur de la salle, tirée de l’édito du n°1 de la revue, un texte désigné parfois comme le « Manifeste Klaxon », et vraisemblablement rédigé par Mário de Andrade). Heureuse surprise, enfin, dans l’une des citations mises en exergue sur les murs de cette section : 3 vers tirés du « Poème Pythagore » (1922) de Luis Aranha (cité, c’est entendu, d’après la traduction française de Cocktails parue en 2010 aux éditions La Nerthe, même si les commissaires se dispensent de donner leur source) :

« Mon cerveau et mon cœur piles électriques
Arcs voltaïques
Explosions »

Resté longtemps inédit, illustre inconnu aujourd’hui encore dans son propre pays et à présent promu, sur les cimaises parisiennes (si ce n’est dans les librairies), comme un poète emblématique du futurisme mondialisé, Luis Aranha poursuit discrètement mais surement son cheminement vers la consécration posthume…


Exposition : « Modernités plurielles, 1905-1970 » (commissaire général : Catherine Grenier ; commissaires associés : Clément Chéroux, Cécile Debray, Michel Gauthier, Aurélien Lemonier), Centre Pompidou (niveau 5), du 23 octobre 2013 au 31 décembre 2014.
Catalogue : C. Grenier (dir.), Modernités plurielles, 1905-1970, 256p., 300 ill. (album, même titre, 60p., 100 ill.).

29 septembre 2013

Tupi or not tupi (in Paris)

Retour sur le modernisme de deux Brésiliens de Paris, dans un récent article de l’universitaire américain Kenneth David Jackson, « Des cannibales à Paris : le primitivisme satirique d’Oswald de Andrade et de Vicente do Rego Monteiro », paru dans l’ouvrage collectif dirigé par Vanda Anastacio, Saulo Neiva et Gilda Santos, LAtlantique comme pont : LEurope et lespace lusophone (XVIe-XXe siècle), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, coll. « Littératures », 2013, p.65-78.
(Référence : http://www.msh-clermont.fr/spip.php?article3440.)

L’occasion de donner ici-même quelques pages, pour les amateurs, des Quelques visages de Paris du peintre (et poète) Rego Monteiro, un curieux ouvrage publié dans la capitale en 1925, en même temps que s’y imprimait la poésie de Pau Brasil d’Oswald de Andrade (à propos de laquelle Kenneth D. Jackson, s’adressant ici aux lecteurs francophones, n’a pas tout à fait actualisé sa bibliographie).










30 août 2013

Là où il faut être

Tarsila (et Oswald) à Paris


Dans le cadre de « Nouvelles vagues », jusqu’au 8 septembre au Palais de Tokyo, le « curateur » (sic, mais oui) Shanay Jhaveri rassemble dans l’exposition « Companionable silences » « des artistes [femmes] » qui, « dans un Paris cosmopolite au milieu des années 1920 », « mettent en avant une identité plurielle, mouvante, et interrogent l’autorité occidentale » (argumentaire complet ici).

Place y est donc faite à la moderniste brésilienne Tarsila do Amaral (1886-1973), mais sur un mode essentiellement documentaire, avec quelques pièces d’archives témoignant de sa vie et de sa créativité transatlantiques de l’époque : l’original de la photographie bien connue, prise à la Foire du Trône un 14 juillet (1923 ? 1926 ?), où elle pose dans un décor de barque avec son compagnon et futur époux Oswald de Andrade, l’amie Yvette Farkou, Fernand Léger, Brancusi et le critique d’art Maximilien Gauthier (MNAM-CCI) ; l’un des très rares, sinon le seul exemplaire conservé en France (à l’Université de Toulouse-Le Mirail) de l’édition originale de Pau Brasil (Paris, Au Sans Pareil, 1925) d’Oswald de Andrade, dont elle réalisa la couverture et les illustrations intérieures (avis aux fétichistes : en dépit de l’étiquetage, l’autre exemplaire exposé dans la même vitrine n’est que l’édition pseudo fac-similé d’une traduction espagnole publiée en 2009 !) ; carton d’invitation et catalogues des deux premières expositions individuelles de l’artiste, lesquelles eurent lieu à Paris, à la Galerie Percier, en 1926 et 1928 (avec, pour la première, des poèmes inédits de Blaise Cendrars), puis celui de la rétrospective de 1950 au Museu de Arte Moderna de São Paulo avec un texte de présentation de Sérgio Milliet, ouvert sur la fameuse toile A Negra (1923), un petit carnet de travail (toutes pièces prêtées par la Pinacoteca do Estado de São Paulo)… — mais pas l’unique toile de l’artiste conservée en France, A Cuca (1924), acquise en 1926 par l’actuel Fonds National d’Art Contemporain, et déposée en 1928 au Musée de Grenoble, dans les caves duquel elle demeure.

Un timide retour à Paris pour Tarsila, mais qui indique peut-être, au sein d’une exposition collective de ce type, que sa notoriété tend à être acquise, dans les institutions et circuits culturels internationaux.

25 août 2013

Dans la presse française 11


Belle et précise recension du volume Pathé-Baby dAntónio de Alcântara Machado, par le critique et universitaire brésilien Augusto Massi dans les « Notes de lecture » de la revue Europen°1012-1013 d’août-septembre (p.349-351) : « avec cette excellente traduction, Antoine Chareyre fait un pas de plus pour permettre au lecteur français d’entrer en contact avec un ensemble représentatif d’œuvres de notre modernisme ».

13 août 2013

Luís Aranha – Prière d’insérer

Deux ans après la première quoique très tardive édition, fin 1984, du recueil Cocktails par Nelson Ascher et Rui Moreira Leite, et quelques mois avant sa mort, Eduardo Kac et Antônio Fernando Borges avaient l’heur d’aller interroger l’ex-poète moderniste Luís Aranha (1901-1987), et de publier cette entrevue, intitulée « A teia do desconhecido »dans le supplément Folhetim de la Folha de São Paulo du 30 janvier 1987 (p.B6-B7).
Étrange exemple de l’Auteur, tôt retraité de l’écriture, qui ne se renie ni ne revendique. Figure presque parfaite de l’inédit et du posthume, longtemps fuyante et mutique, et ici presque déjà perdue à peine retrouvée, pour ainsi dire asymptotique. Le document laisse ainsi beaucoup à désirer, mais, unique et méconnu qu’il est, peut aider à la compréhension de l’une des personnalités les plus frappantes de l’avant-garde brésilienne historique.
Remerciements à l’ami Júlio Machinski, qui s’efforce de mener à terme une thèse de doctorat sur la poésie de Luís Aranha (toujours pas rééditée au Brésil depuis 1984) et qui a mis la main sur le document ici traduit, trois ans après l’édition française de Cocktails

Luís Aranha : la toile de l’inconnu
Le plus jeune des modernistes parle, pour la première fois, de sa carrière et des raisons pour lesquelles il a abandonné la poésie

Propos recueillis par Eduardo Kac et Antônio Fernando Borges

[Traduit du portugais par A. C.]

Il ne fut pas le plus scandaleux des modernistes (en matière d’irrévérence, personne ne dépassait l’endiablé Oswald de Andrade), mais il fut sans aucun doute le plus original et le plus mal jugé — ce qui ne laisse pas d’être une sorte de « scandale ». Luís Aranha est passé par le Modernisme brésilien de manière discrète, comme une comète à la lumière intense mais que bien peu remarquent. Brillant mais timide, il fut étouffé par des « étoiles » brillant plus puissamment, comme Oswald et Mário de Andrade, les représentants du mouvement. Il finit par participer des plus discrètement à la fameuse Semaine d’Art Moderne, organisée en février 1922 au Théâtre Municipal de São Paulo. Un événement qui, en vérité, n’est devenu fameux que plus tard, grâce aux conséquences qu’il a eues pour la littérature et les arts plastiques brésiliens. Mais là — dans les annales officielles, du moins — le nom d’Aranha n’apparaît pas.
Luís Aranha Pereira est né en mai 1901. Il avait, donc, 20 ans lorsque a eu lieu la Semaine d’Art Moderne. Mais il disposait, en contraste avec son jeune âge, d’une vaste culture acquise dans la grande bibliothèque de son père, sans compter une poésie révolutionnaire, antérieure au Pau Brasil [Bois Brésil] d’Oswald de Andrade, informée par les nouvelles conquêtes des technosciences, douée d’une expression futuriste dans ses aspects graphiques, sonores et surtout syntaxiques. Au-delà des confuses questions nationalistes, Aranha chantait le cosmopolitisme et le progrès : il empilait des noms de médicaments comme s’ils se trouvaient réellement sur une étagère, espèce de portrait phono-typographique ; il s’appropriait l’impact visuel des enseignes lumineuses, à travers l’emploi des capitales (« HÔTEL RESTAURANT BAR ») ; il annonçait enfin une nouvelle vision de l’univers (« les erreurs de la géométrie euclidienne »), donnant le signal de départ à une série de procédés esthétiques peu communs. Tandis que les autres se battaient, bruyants, à la recherche d’une nouvelle poétique, le jeune homme tissait en silence la toile de l’inconnu.

Cocktails
Mais la Semaine d’Art Moderne passa, l’année se poursuivit. Une fois dissous le groupe moderniste, Aranha s’en fut étudier le Droit. Bien des années suivirent. Ensuite, il s’installa à Rio, pour se préparer au concours du Ministère des Relations Extérieures. Ensuite, l’Europe et l’Orient. Enfin, le silence.
Toute cette histoire est racontée dans la récente édition de Cocktails, organisée par Nelson Ascher à partir des originaux confiés par le poète lui-même à Mário de Andrade. Une minutieuse récupération, sans aucun doute, de la vie et de l’œuvre du premier poète véritablement moderniste du Brésil. Il manquait, néanmoins, un témoignage personnel, les impressions de quelqu’un qui a vécu le mouvement de 1922, mais qui n’en a jamais rien dit.
Cela ne fut pas une entreprise facile. Touché depuis 1984 par une attaque cérébrale qui lui a paralysé le côté droit, Luís Aranha ne dispose plus des deux principales armes du discours : l’écriture et la parole. Ce n’est qu’après d’insistants échanges avec la sympathique et attentionnée Dona Dulce, son épouse depuis 1933, que nous avons obtenu la permission d’une interview « par écrit » : nous allions envoyer les questions pour que lui, avec du temps et de la patience, y réponde. Divers problèmes de santé, affectant intervieweurs et interviewé, ont repoussé la rencontre, laquelle eut finalement lieu huit mois plus tard, un samedi de novembre 1986.

Ambassadeur
L’appartement silencieux du quartier de Copacabana donne encore tous les signes d’une vie passée dans les voyages : objets et tableaux d’origines diverses, outre de nombreux livres sur les arts plastiques du monde entier. Lorsqu’il nous reçut, le vieux poète — qui préfère aujourd’hui être appelé Ambassadeur — était en train de lire le volume Japanese Masters of Colour Print. C’est vers les arts plastiques, soit dit en passant, que s’est détournée l’attention intellectuelle d’Aranha, devenu aujourd’hui un grand connaisseur du sujet. Rien de nouveau : cet intérêt apparaissait déjà dans le caractère manifestement visuel de ses meilleurs poèmes, au sein de son œuvre, petite mais délicieuse, recueillie dans Cocktails.
De manière surprenante (et décevante), il n’y a pas d’autres textes originaux ou inédits. Tout au plus peut-il rester quelque poème perdu. Aranha les écrivait et les envoyait à Mário de Andrade, qui — comme cela se saurait plus tard — ne les comprit pas. Il semble que le poète ait cédé, très tôt, sa place au diplomate. Un « autre Rimbaud » (selon Manuel Bandeira) ? La comparaison, plus que facile, est inappropriée : l’œuvre du poète d’avant-garde brésilien n’a rien du « satanisme » du poète maudit français, et sa vie n’a pas eu le dénouement tragique et précoce de celle du second. Et aucune folie, également : même malade, le poète — qui « vendait de l’opium sans craindre la police » — montre encore la lucidité de son raisonnement, que traduit le fort éclat de ses yeux.

Folhetim — Avant toute chose, une question que beaucoup attendent : pourquoi, en fin de compte, avez-vous abandonné si tôt la poésie ? N’a-t-elle été qu’un événement passager dans votre vie ?
Luís Aranha — Sans aucun doute : la poésie fut seulement un événement circonstanciel. Notre groupe s’est bientôt dissous et je me suis intéressé à d’autres choses.
Folhetim — Avez-vous produit d’autres textes que ceux qui sont inclus dans Cocktails ? Où se trouvent-ils ?
Luís Aranha — Non. Après être entré dans la carrière diplomatique, je n’ai jamais plus écrit de poésie. Je ne me suis consacré qu’aux sujets diplomatiques internationaux.
Folhetim — Au cours de votre carrière diplomatique, avez-vous suivi la littérature brésilienne et les développements du Modernisme de 1922 ? Que pensez-vous des mouvements qui sont venus après ?
Luís Aranha — J’ai servi en Europe, dans les pays en guerre. Ensuite, j’ai passé huit ans en Orient. Là-bas, nous n’obtenions pas régulièrement de journaux du Brésil. Je me rappelle que la seule fois où j’ai discuté avec quelqu’un sur ce qui se passait dans le pays, dans le domaine de la littérature, ce fut avec Carlos Lacerda [1914-1977, journaliste et homme politique brésilien], alors qu’il se trouvait au Japon [ca. 1958-1962]. C’était une personne d’une grande vision et d’une grande curiosité, et nous nous sommes écrit à ce sujet. Ainsi, par la force des circonstances, tout mon intérêt s’est concentré sur l’étude des arts et de la littérature étrangères. Par conséquent, je ne peux pas avoir d’opinion faite sur les autres mouvements.
Folhetim — Un autre doute qui mérite d’être éclairci : avez-vous ou non participé à la Semaine d’Art Moderne ? Étiez-vous sur la scène ou dans le public ?
Luís Aranha — J’ai participé activement à la Semaine. Sur la scène elle-même, nousn’avons tous été qu’un seul jour, et moi j’ai été chargé de présenter la partie artistique exposée au Théâtre Municipal : les statues et les tableaux relatifs à la Semaine.
Folhetim — Parlez-nous un peu du climat qui régnait alors : les présentations irrévérencieuses, la réaction du public. Quelle fut la répercussion dans la presse et dans le milieu artistique ?
Luís Aranha — Le climat de la Semaine était très tendu. Dans le théâtre, le public réagit par des huées et des plaisanteries. Quand nous voulions réciter un poème, nous en étions empêchés par le vacarme des galeries, qui ne s’intéressaient pas à la poésie et pensaient que nous étions des futuristes, des sectateurs de Marinetti. Dans la presse et dans le milieu littéraire de l’époque, il n’y eut pas non plus la moindre réaction favorable.
Folhetim — Et qu’en était-il de vos relations avec Mário et Oswald de Andrade ? Y avait-il un échange d’idées et d’expériences ?
Luís Aranha — Mário et moi habitions dans le même quartier, à Barra Funda. Nous étions toujours ensemble, et je lui envoyais mes poèmes. Avec Oswald et tout le groupe, nous nous rencontrions de temps à autre au salon de thé « A Salete », au centre de la ville, et là nous échangions idées et expériences.
Folhetim — On dit que Mário et Oswald n’ont pas voulu donner l’importance qu’il méritait à votre délicieux « cocktail » poétique. Pensez-vous qu’il y a eu de la mauvaise volonté, ou cela a-t-il été un pur manque de vision ?
Luís Aranha —Non. Je ne crois pas qu’il y ait eu de la mauvaise volonté de leur part. Je pense qu’ils se préoccupaient davantage de leurs propres poèmes, voilà tout.
Folhetim — Aviez-vous à l’époque (ou même plus tard) une idée de l’importance de votre travail pour le « bond moderne » de la poésie brésilienne au début du siècle ?
Luís Aranha — Je ne me suis jamais préoccupé de cela. J’écrivais ce qui me venait en tête et je n’ai jamais pensé à la contribution que je pouvais apporter à la littérature brésilienne.
Folhetim — Et qu’avez-vous pensé de l’article de Mário de Andrade [texte traduit en appendice dans l’éd. française de Cocktails], écrit dix ans plus tard, dans lequel il qualifiait votre poésie de « scolaire » ?
Luís Aranha — Quand j’ai lu l’article de Mário je l’ai trouvé injuste. Mon père avait une grande bibliothèque, je lisais beaucoup et j’avais déjà voyagé en Europe à l’époque. Je disposais, par conséquent, d’une vision supérieure à celle de Mário. Je n’ai jamais été d’accord avec cette définition qu’il a donnée de ma poésie.

*

Rappel
Luís Aranha, Cocktails (Poèmes choisis)
suivi d’une étude par Mário de Andrade
choix, trad. du brésilien, présentation et notes
par Antoine Chareyre
Toulon, La Nerthe, « Collection Classique », 2010, 116p.
20€30.

22 mai 2013

Là où il faut être

Autour de la récente traduction de Pathé-Baby d’Alcântara Machado (Éditions Pétra, mars 2013), une après-midi studieuse à l’université...


« L’Europe vue par des modernistes brésiliens »
Colloque à l’Université Paris 8

Jeudi 6 juin 2013, de 14h30 à 17h30





Événement organisé par les Professeurs Maria Helena Araújo Carreira (Département d’Études des Pays de Langue Portugaise de l’Univ. Paris 8) et Sandra Nitrini (Département de Théorie Littéraire et Littérature Comparée de la FFLCH, Groupe de Recherche Brésil-France de l’Institut d’Études Avancées de l’Université de São Paulo et professeur invité à Paris 8).

Modérateur : Maria Helena Araújo Carreira (Professeur à l’Université Paris 8)







14h30 - Antoine Chareyre (traducteur, Professeur agrégé de Lettres modernes) : Import/export : un traducteur face aux suggestions européennes dans le modernisme brésilien.

15h00 - Jacqueline Penjon (Professeur émérite à l’Université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3) : L’Europe et les modernistes : Alcântara Machado.

15h30 - Catarina Firmo (Docteur de Paris 8 et de l’Université de Lisbonne, Maître de Langue à l’Université Paris 8) : L’itinéraire intertextuel d’Alcântara Machado. Quelques voix modernistes à l’occasion d’un court séjour à Lisbonne.

16h00 - Sandra Nitrini (Professeur à l’Université de São Paulo et invité à l’Université Paris 8) : Pathé-Baby d’Alcântara Machado : sa singulière poétique du voyage et sa vision dysphorique de l’Europe.

16h30 - Pierre Rivas (Maître de Conférence honoraire de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense) : Les migrations transatlantiques : le nouveau monde face à l’ancien monde.


En salle B106 de l’Université Paris 8 (Vincennes-Saint-Denis)
2 rue de la Liberté (Saint-Denis)

27 mars 2013

Curiosité

À l’occasion de la traduction française de Pathé-Baby d’António de Alcântara Machado (Éditions Pétra, mars 2013)... la dédicace manuscrite de l’auteur sur un exemplaire de l’édition originale offert à Blaise Cendrars, l’ami des modernistes de São Paulo qui effectuait alors son 2ème séjour au Brésil :
Pour Blaise Cendrars,/ – grand spécialiste en/ films documentaires/ avec l’enthousiasme de/ Alcântara/ – avril 1926
(Volume conservé au Fonds Blaise Cendrars des Archives Littéraires Suisses, Bibliothèque Nationale, Berne.)

22 mars 2013

Vient de paraître - L'Europe des années 1920 vue par un journaliste brésilien...

António de Alcântara Machado   
Pathé-Baby
       
Préface d’Oswald de Andrade
Estampes de Paim
    
Traduction du portugais (Brésil),
notes & postface d’Antoine Chareyre
     
Éditions Pétra (Paris)
coll. « Voix d’ailleurs »
22 x 14 cm, 272 p., 22 €
   
paru en mars 2013 –

  


Les récits de voyage au Brésil ne manquent pas, mais sait-on ce qu’ont à dire, de nous, les Brésiliens ?

En 1925, comme tant d’autres Latino-Américains, un jeune journaliste de São Paulo entreprend une tournée en Europe et visite au pas de course, en train ou en voiture, villes et campagnes du Portugal, de France, d’Angleterre, d’Italie et d’Espagne.

Il rédige sur le fait des impressions de voyage qu’il envoie au Jornal do Comércio de São Paulo, où elles paraissent d’abord sous la forme d’une chronique sous-titrée « Panoramas internationaux », puis qu’il rassemble et refond, en 1926, en un beau volume organisé comme une petite séance de cinématographe, télégraphiquement préfacé par Oswald de Andrade, l’agitateur du « futurisme » local et prompt découvreur de talents, dans une stupéfiante « Lettre-Océan », et illustré par Paim, dont les estampes idoines achèvent de faire de ce reportage une projection sur grand écran.

En touriste pressé et impertinent, dans un style coupé, rapide et synthétique, à la fois précis et impressionniste, et où le registre descriptif s’ouvre à la transcription de tous les discours vernaculaires, l’auteur inverse la perspective exotique habituelle et s’amuse de l’Europe, de ses aspects pittoresques ou incongrus, de ses attraits touristiques un peu galvaudés et de son patrimoine étouffant. Il moque, surtout, les réflexes culturels, l’imaginaire et le regard brésilien d’alors sur le vieux continent, tropisme à démagnétiser. Un essai de déprise et de désapprentissage reçu comme une réussite exemplaire au sein du groupe moderniste, et son auteur comme un jeune talent de la nouvelle prose.

Caméra Pathé-Baby, guide Baedeker et méthode Berlitz : voir l’Europe, vite !

Né en 1901 à São Paulo, António de Alcântara Machado mène une carrière de chroniqueur et critique journalistique dès le début des années 1920, dans le Jornal do Comércio, et exerce la codirection des revues modernistes Terra roxa e outras terras (1926) et Revista de Antropofagia (1re phase, 1928-1929), sans toutefois avoir participé à la Semaine d’Art Moderne de 1922, puis celle de la Revista Nova (1931-1932).
Après les chroniques de Pathé-Baby, les nouvelles de Brás, Bexiga e Barra Funda (1927) et Laranja da China (1928), inspirées du monde urbain et populaire de São Paulo, le consacrent comme un prosateur essentiel de la génération moderniste (Oswald de Andrade, Mário de Andrade…). Mort précocement en 1935, il laisse un roman inachevé, quelques fictions inédites et une œuvre critique importante.


Dans le volume : le texte de Pathé-Baby avec ses illustrations et un projet graphique respectueux de l’édition originale de 1926, p.11-218 ; « Textes annexes », p.221-230 ; « Notes et variantes », p.233-243 ; « Voir l’Europe, vite », postface du traducteur, p.247-270.

Ouvrage publié avec le soutien du Ministère de la Culture du Brésil / Fondation Bibliothèque Nationale.


Diffusion-distribution : info@editionspetra.fr / www.editionspetra.fr
ISBN : 978-2-84743-065-3

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