20 juin 2018

[Petite chronique du mouvement international des livres & des idées : un cas d’import-export]


L’intérêt, parmi tant d’autres, quand on s’efforce de traduire & introduire des auteurs méconnus si ce n’est de seconde zone, & des textes négligés de l’avant-veille, emblématiques ou marginaux, emblématiquement marginaux — & dont il arrive d’ailleurs, au moment même où l’on entreprend de les traduire, qu’ils ne soient plus édités (ou mal) dans la langue originale, pour ne rien dire des hapax éditoriaux localisés & exhumés coûte que coûte —, l’intérêt, donc, c’est que l’on a parfois la satisfaction intellectuelle de voir ces auteurs-là suivre leur bout de chemin posthume, & ces œuvres-là réapparaître, reparaître dans leur pays d’origine, & même, parfois, qui plus est, de se trouver personnellement associé à l’entreprise de réédition — signe, peut-être, qu’on ne fait pas tout à fait n’importe quoi. Ça circule dans tous les sens & c’est très bien comme ça.

Joie & fierté, donc & tout d’abord, de voir paraître ces jours-ci, au Brésil, la 5e édition qui est aussi la 4e édition posthume qui est aussi la 1re édition critique en portugais de Parque industrial, ce si singulier romance proletário de la fascinante Pagu (Patrícia Galvão, 1910-1962), une absolue rareté d’abord autoéditée presque clandestinement, sous le pseudonyme Mara Lobo, en 1933, puis reprise en 1981, 1994 & 2006 — il revenait de loin, ce petit livre, & comme on le voit, le rythme des rééditions s’accélère drôlement !

Joie & fierté, non moins, d’avoir comme qui dirait contribué à cette belle & nécessaire publication, comme ça, en donnant aux lecteurs brésiliens une version revue & corrigée, augmentée & adaptée, de la postface & des notes conçues initialement pour l’édition française (2015), l’ouvrage ayant connu par ailleurs des traductions en anglais (1993) — Kenneth David Jackson est également de la partie —, en croate (2013) & en espagnol (2016).
(Un amical & confraternel coup de chapeau à Daniel Lühmann, qui s’est chargé, dans une large mesure, de mettre en bel & bon portugais mes quelques considérations sur l’apparition & les enjeux de ce premier roman prolétarien (& féministe) de la littérature brésilienne, influencé par le meilleur de la prose moderniste.)

Forte émotion, aussi, à l’idée d’en partager le sommaire avec Augusto de Campos, qui livre ici une préface inédite, lui sans qui Pagu serait sans doute restée dans les limbes de l’histoire littéraire & culturelle, dans l’ombre maudite de la mémoire politique brésilienne, et qui est aujourd’hui une légende, & un exemple.

Gratitude envers l’initiative de Marília Moschkovich des éditions Linha a Linha, cette « première maison d’édition féministe au Brésil » qui avec pareil titre ne pouvait mieux inaugurer son catalogue, sous un label, « Carolina », expressément dédié aux écritures féminines & aux questions de genre, aux voix marginales & discriminées.

& puis, tant qu’on y est : amitiés volontiers renouvelées à Juliette Combes-Latour & aux éditions Le Temps des Cerises qui, ayant publié tantôt la version française du roman (joliment saluée par la critique), se trouvent contribuer de la sorte, indirectement, à l’histoire de l’édition brésilienne. Pour une petite maison militante cofondée par Jorge Amado — cet autre pionnier du roman social brésilien —, c’était bien la moindre des choses…

Revoilà donc, lisible de tous, portée par un geste éditorial concerté & ouvertement militant, une fiction efficace, brute & brutale, qui conjugue activisme communiste & revendications féministes : un brûlot révolutionnaire qui a de quoi agiter les esprits dans le Brésil de 2018, en proie à toutes les régressions morales, politiques, sociales & culturelles !


N.B. : & les lecteurs français, eh bien qu’ils se jettent, si ce n’est fait, sur l’édition française :


Ça se trouve, en librairie.

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