19 janvier 2015

La critique d’avant-hier soir / Lancement Pagu (3)

Panorama
par Ary Pavão

Parc industriel, roman prolétaire… Tant que « les employés des tissages déchiffrent sur le crâne de la crevette impérialiste » que São Paulo est le plus grand centre industriel de l’Amérique du Sud, on croit encore à Mara Lobo, mais, dès que la « petite Italienne matinale » adresse certain salut expressif au tram, le nom de la couverture du livre disparaît comme par enchantement, pour laisser apparaître à sa place — Pagu — avec la violence et l’éclat de son tempérament révolutionnaire. Puis c’est le Brás avec ses usines, ses cheminées puissantes, ses mendiants, ses enfants en haillons, ses apôtres anonymes ; la rue de l’amertume, enfin… cette même rue de la vie facile, que les heureuses créatures font « paver de diamants, pour que s’y promène leur amour »…
« Travailleuses à l’aiguille », les humbles petites couturières qui lèchent les vitrines des maisons élégantes de la rue Barão de Itapetininga, pleines d’envie devant les gourmandises exposées… Araignées tristes qui tissent les robes coûteuses des autres femmes, sans pouvoir les porter. Un jour, voilà qu’arrive l’élégant coupé sport qui ne manque jamais de faire son apparition là où il y a de jeunes ouvrières faméliques. Après la garçonnière, l’abandon, la honte… La lutte des classes dans tous les secteurs. La séance du syndicat régional est une page extraordinaire. Le compagnon Miguetti qui est un agent de la police, et qui se rend à la réunion dans l’unique dessein d’interrompre les orateurs et de les dénoncer à l’Ordre Politique et Social, est une figure obligée dans toutes les sociétés ouvrières du Brésil. Le jour où les travailleurs mettront à la rue tous les Miguetti qui vivent parmi eux, je ne dis pas qu’ils augmenteront le volume de leurs revendications, mais ils diminueront considérablement leurs ennuis. Miguetti est une institution nationale. Il débute comme prolétaire, devient agent infiltré et finit propriétaire et persécuteur de ses anciens compagnons…
Le noir Alexandre, que la cavalerie de l’Ordre a un jour assassiné, est une autre figure impressionnante et bizarre du livre de Pagu. Et les deux petits noirs, Carlos Marx et Frederico Engels, que la vieille paralytique a commodément brésilianisé en Marcos et Enguis ?... Et toute une somme de choses délicieuses. Otávia, Alfredo et Eleonora — les principales figures du roman —, on les connaît. Les deux premiers évoluent par ici, heureux des idéaux qu’ils ont embrassés. Eleonora est restée à l’Esplanada, attendant sa nouvelle toilette* pour un gala de charité. De temps à autre, peut-être, la visite une légère nostalgie du temps passé. Mais le sifflement des usines est une musique fort malcommode aux oreilles habituées aux orchestres des hôtels de luxe… Et elle chasse les mauvaises pensées en commandant un autre Martini…
Roman rapide, couleurs fortes, personnalité. Même pour ceux qui, comme moi, ne participent pas au courant d’idées qui l’a inspiré, Parc industriel de Pagu est un livre qui se lit avec plaisir. Impropre aux enfants et aux jeunes filles — comme tout livre qui contient des idées — il intéresse, parce qu’il peint avec une notable simplicité les aspects les plus désolants de cette lutte terrible que les inégalités humaines ont créée entre les différentes couches sociales.
N’était la présence de certains termes que les dictionnaires civilisés ont bannis de leurs pages, par incapacité esthétique, je conseillerais à tout le monde la lecture de ce livre. Il y a des créatures, toutefois, que leur sensibilité empêche de lire ou d’entendre certains mots… quand bien même nous les avons tous à l’esprit, en un stock imposant, pour les déverser — quoique mentalement — sur ceux-là qui se mettent en travers de notre chemin, ou qui tentent, d’une certaine manière, de diminuer notre part de bonheur…

(A. Pavão, « Panorama »,
Diário Carioca, Rio de Janeiro, jeudi 19 janvier 1933, p. 4.)



À paraître :
Patrícia Galvão (Pagu)
Parc industriel
(roman prolétaire)
Inédit en français
Prologue de Liliane Giraudon
Le Temps des Cerises
mars 2015

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