7 janvier 2015

La critique d’avant-hier soir / Lancement Pagu (2)

Le livre de la semaine
Dans le sous-sol du parc industriel
par Geraldo Ferraz

Le livre de Mara Lobo, Parc industriel, est sorti samedi 31 décembre, avec une publicité disant qu’il s’agit d’un roman prolétaire, le premier de 1933.
C’est une anticipation de la nouvelle année qui a illustré les vitrines des librairies avec le sérieux cinématographique noir et blanc de la couverture horrible, antipathique, du livre de Mara Lobo.
Je n’ai même pas besoin de le lire pour écrire ici qu’il ne s’agit pas d’un roman prolétaire. La qualification, qui est expliquée par la préface (« la statistique et l’histoire de la couche humaine qui soutient le parc industriel de São Paulo, et qui parle la langue de ce livre, se trouvent, sous le régime capitaliste, dans les prisons et dans les baraquements ouvriers, dans les hôpitaux et dans les morgues ») de la 5e page, ne correspond à aucun modèle littéraire existant. Cela a été suffisamment expliqué dans une note du Diário da Noite, à la publication du livre de Paulo Torres, des poèmes dits également prolétaires. En résumé, le contenu peut avoir un sens révolutionnaire (révolution prolétaire) mais il ne s’agira pas pour autant d’une œuvre prolétaire. Celle-ci ne sera possible que sous le régime déterminé par la révolution prolétaire, et elle devra correspondre aux conditions sociales et humaines qui en découleront, etc.
Le livre de Mara Lobo est un roman de sens révolutionnaire. Pour ce faire, l’auteur a sélectionné certains éléments et a réalisé, dans une forme toujours intéressante, un notable travail littéraire, dans la succession des épisodes du récit.
Ces éléments sont bien distribués et sont le résultat passionnément exposé du choc des vies qui palpitent dans le sous-sol du parc industriel. C’est la ville des travailleurs qui s’entraperçoit avec son fleuve Tietê, ses rues de résidences ouvrières, l’âpreté de la journée, dans l’atmosphère enfumée par les hautes cheminées d’usine. L’insistance des métiers à tisser jusqu’aux machines à coudre où s’éreintent les filles du parc industriel. Logements collectifs et syndicats en pleine séance. L’attitude de M. L. au côté du Parti contre l’Opposition, parfaitement manifestée. Et toute la question sexuelle avec sa somme de causes, conséquences et conflits. Quelques mots par trop grossiers, dénonçant une préoccupation littéraire néfaste. Roman du parc industriel pauliste, roman pauliste. Complète opposition au roman carioca de Lima Barreto et sa dernière édition, Marques Rebelo. Souvenir d’Oswald de Andrade 1e phase, Les Condamnés (de la Trilogie en souffrance), jusque dans certains épisodes. Sans plagiat. Mais admirable de couleur bien locale — si différent de la Bagaceira du ministre des Transports, Zé Américo.
Des lignes d’eau-forte dans certaines descriptions :
« Le Tietê trouble. Barques à l’ancre et en transit, chargées de troncs et de gros hommes aux chemises à haut col couleur cannelle. Ils s’installent.
« Le bac qui grogne de ses engrenages rouillés. Elle mouille sur l’herbe trempée le tissu bon marché de son manteau à la doublure usée. Ses cheveux noirs s’entortillent autour des lianes. Terre, morceaux de charbon. »
Et la lumière des projecteurs balaye incisivement la scène, les spectateurs, tout le mouvement du parc industriel, sous-sol obscur d’où surgissent les détails des masques tragiques, des moments angoissants des meetings, place de la Concórdia, des mouvements de bas en haut, dans la force d’aurores que l’on commence à pressentir, sur la ligne de l’horizon…
Ce n’est plus la littérature sambinette de Mário de Andrade Conservatoire. Les âneries de Coelho Neto pour Prix Nobel. Les sirops anglais de Machado de Assis. C’est la vie humaine en conflit avec les conditions qui encadrent les relations du capital et du travail, dans la lutte en perspective. Les débuts d’écrivain les plus beaux et les plus courageux de cette délicieuse fin 1932. Malgré tous ses défauts. Peut-être pour cela-même, une jeune sincérité.

(G. Ferraz, « O livro da semana / No subsolo do parque industrial »,
Correio de S. Paulo, samedi 7 janvier 1933, p. 2.)


N.B. : Cet article méconnu, qui constitue la toute première recension du roman dans la presse de l’époque, est signé par un proche, appelé qui plus est à occuper le premier plan de la biographie de Pagu. Le journaliste et romancier Geraldo Ferraz (1905-1979) s’était d’abord signalé comme secrétaire de rédaction de la Revista de Antropofagia (2e phase, 1929) d’Oswald de Andrade, et avait collaboré ponctuellement à O Homem do Povo (1931), le journal d’Oswald et Pagu, fondant et dirigeant lui-même un autre journal de gauche également radical, O Homem Livre (22 n°, mai 1933-février 1934). C’est avec sa complicité que Pagu, condamnée début 1936, s’évadera avant la fin de sa peine de 2 ans d’emprisonnement, en 1937, avant d’être arrêtée et nouvellement condamnée en 1938. À sa sortie définitive de prison, en 1940, G. Ferraz la recueille et l’épouse. Ils passeront ensemble le reste de leur vie, partageant un même engagement, à commencer par leur collaboration au journal du trotskiste Mário Pedrosa, Vanguarda Socialista (1945), et signant ensemble le roman anti-stalinien A Famosa Revista (1945), le deuxième et dernier roman publié par Pagu.



À paraître :
Patrícia Galvão (Pagu)
Parc industriel
(roman prolétaire)
Inédit en français
Prologue de Liliane Giraudon
Le Temps des Cerises
mars 2015

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