29 juin 2014

Un poème

RIO DE JANEIRO
par
Oliverio Girondo


La ville imite, dans le carton, une ville de porphyre.

Des caravanes de montagnes campent dans les environs.

Le « Pain de Sucre » suffit à napper de sirop toute la baie….. Le « Pain de Sucre » et son téléphérique, qui va perdre l’équilibre faute d’une ombrelle de papier.

Avec leurs faces peinturlurées, les constructions sautent les unes par-dessus les autres et quand elles sont en-haut, elles redoublent d'ardeur, pour que les palmiers leur donnent un coup de plumeau sur le crâne.

Le soleil ramollit l’asphalte et les fesses des femmes, fait mûrir les poires de l’électricité, souffre un crépuscule, sur les boutons d’opale que les hommes utilisent jusque pour fermer leur braguette.

Sept fois par jour, on arrose les rues avec de l’eau de jasmin !

Il y a de vieux arbres pédérastes, fleuris de roses thé ; et de vieux arbres qui avalent les gamins qui jouent à l’arc sur les promenades. Des fruits qui en tombant font un trou énorme sur le trottoir ; des noirs qui ont des peaux de tabac, les paumes des mains faites de corail, et des sourires insolents de pastèque.

Pour seulement quatre cents mil-réis on commande un café, qui parfume tout un quartier de la ville pendant dix minutes.

RIO DE JANEIRO, NOVEMBRE 1920.



Poème trad. de l’espagnol (Argentine), tiré de Oliverio Girondo, Veinte poemas para ser leídos en el tranvía [Vingt poèmes à lire dans le tramway], ill. de l’auteur [peintes par Ch. Keller], éd. achevée d’imprimer le 15 décembre 1922 sur les presses de Coulouma, à Argenteuil, tirée à 850 ex. numérotés, sur papier Vélin pur fil Lafuma, et 150 ex., sur le même papier, hors commerce, signés par l’auteur, 24x32cm, n. p.

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