14 octobre 2021

“L’ex-magicien” de Murilo Rubião, par Sérgio Milliet

Le livre inégal de Murilo Rubião (O ex-mágico — Editora Universal — Rio, 1947), hésitant dans sa réalisation technique et artistique, et qui rappelle par trop les expériences de 1922, contient, toutefois, quelques nouvelles intéressantes dont l’une, au moins, est délicieuse : celle qui donne son titre au volume. Délicieuse et profonde. Voilà un magicien qui en a assez de faire des tours de magie. Il devient fonctionnaire public et quand, pour justifier d’une stabilité qui n’est pas la sienne, il décide de faire le grand tour de magie, lequel lui permettra de tirer de sa poche un titre de nomination de plus de dix ans, il n’arrive à rien. Il a perdu le don de la magie, écrasé par la bureaucratie et par l’amour malheureux qui l’a maintenu si longtemps attaché à son emploi. Ce n’est qu’alors que le magicien comprend ce qu’il aurait pu réaliser grâce à ses talents de sorcier : « arracher de son corps des mouchoirs rouges, bleus, blancs, noirs ; remplir la nuit de feux d’artifice ; dresser son visage vers le ciel et laisser sortir d’entre ses lèvres le plus grand arc-en-ciel jamais vu. Un arc-en-ciel qui irait d’un bout à l’autre du monde et recouvrirait tous les hommes », réaliser la poésie, en somme, une poésie pour les vieux et les enfants, ceux que les autres séductions du monde n’attirent plus et ceux dont les sens sont encore vierges.
Tout le passé du magicien avait été une manifestation de pouvoir, mais de sa force créatrice il n’avait tiré que le minimum concret, lapins, pigeons, crayons, bonbons. Et avoir à portée de mains ces choses vulgaires l’avait ennuyé jusqu’au désir du suicide. Il n’avait pas vu que c’est dans la création de la beauté désintéressée que se trouvait le salut.
La nouvelle de M. Murilo Rubião n’a peut-être pas des intentions philosophiques aussi transcendantes. Peu importe. Comme toute œuvre d’art véritable, elle permet à qui cherche à entrer dans son intimité, une grande latitude d’interprétation. Mais ses nouvelles ne sont pas toujours aussi accessibles. D’autres, comme « La maison du tournesol rouge », se déroulent dans une atmosphère de surréalisme presque impénétrable. Alors c’est la richesse d’imagination de l’auteur qui nous émeut, c’est le caractère gratuit de sa littérature qui nous enchante. Ce sont parfois des petits poèmes en prose, des rêveries sans lien apparent, des images détachées dont le flux est rompu de temps à autre par de violentes absurdités qui sont comme les avertissements d’une pudeur rétive au sentimentalisme menaçant. Cette peur de la banalité mièvre, de la confession personnelle, est une des caractéristiques de la poséie des nouvelles générations, que les poètes écrivent en prose ou en vers. Mais l’attitude de contrôle permanent et de défiance ne peut être toujours maintenue. Alors s’élève lentement une vague d’angoisse, une marée montante qui submerge tout et qui provoque les accents d’un désespoir d’autant plus dense que réfréné, d’autant plus intense que dépourvu des valvules d’échappement pour les explosions lyriques.
La nouvelle intitulée « Marina, l’intouchable » commence sur cette image convaincante : « Avant que j’aie le temps d’ouvrir la fenêtre et de crier au secours, le silence m’enveloppa complètement. » Poursuivre sur ce ton-là eût été s’abandonner, se rendre peut-être ridicule en ces temps de dérision et de démoralisation. Que la blague intervienne, donc, le paradoxe, que la confusion règne à la surface des eaux, éloignant les intelligences malicieuses, capables de décrire dans tous leurs détails les plus complexes processus psychologiques et sociaux, car mieux vaut passer pour un fou, enfermé dans son hermétisme, que pour un idiot… Les irrépressibles sollicitations de l’angoisse, de l’ennui, de la mélancolie, de l’amour insatisfait, de l’insolubilité dans le monde faux, apparaîtront sous la forme agressive de la suggestion vague, de l’allusion ésotérique, et alors les rôles seront inversés, c’est le bourgeois qui aura peur du mystère, et qui se manifestera « dans les journaux » pour dénoncer « l’œil de Moscou ».
J’aimerais que M. Murilo Rubião ait donné à son livre de nouvelles un titre un tout petit peu différent. Non pas L’ex-magicien, mais Le magicien, car sa prose est bien celle d’un de ces types qui broient la montre du spectateur dans un verre et, quand on découvre le récipient, il en sort un pigeon-voyageur avec une lettre de la bien-aimée dans le bec. Il arrive que le spectateur ne sache que faire de cette lettre, il ne comprend pas et demande, prosaïquement, qu’on lui rende sa montre…

Trad. A. C.

Source : O Estado de S. Paulo, 3 décembre 1947, p. 6.

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N. B.
 : Cet article de notre cher Sérgio Milliet (1898-1966), poète, écrivain et critique issu de la génération moderniste de 1922, accompagnait la publication du premier des sept recueils de nouvelles de Murilo Rubião (1916-1991), dont le premier volume en français, anthologique, vient de paraître :


Nous y reviendrons.

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