Le
livre inégal de Murilo Rubião (O ex-mágico
— Editora Universal — Rio, 1947), hésitant dans sa réalisation technique et
artistique, et qui rappelle par trop les expériences de 1922, contient,
toutefois, quelques nouvelles intéressantes dont l’une, au moins, est
délicieuse : celle qui donne son titre au volume. Délicieuse et profonde. Voilà
un magicien qui en a assez de faire des tours de magie. Il devient
fonctionnaire public et quand, pour justifier d’une stabilité qui n’est pas la
sienne, il décide de faire le grand tour de magie, lequel lui permettra de
tirer de sa poche un titre de nomination de plus de dix ans, il n’arrive à
rien. Il a perdu le don de la magie, écrasé par la bureaucratie et par l’amour
malheureux qui l’a maintenu si longtemps attaché à son emploi. Ce n’est qu’alors
que le magicien comprend ce qu’il aurait pu réaliser grâce à ses talents de
sorcier : « arracher de son
corps des mouchoirs rouges, bleus, blancs, noirs ; remplir la nuit de feux
d’artifice ; dresser son visage vers le ciel et laisser sortir d’entre ses
lèvres le plus grand arc-en-ciel jamais vu. Un arc-en-ciel qui irait d’un bout
à l’autre du monde et recouvrirait tous les hommes », réaliser la
poésie, en somme, une poésie pour les vieux et les enfants, ceux que les autres
séductions du monde n’attirent plus et ceux dont les sens sont encore vierges.
Tout
le passé du magicien avait été une manifestation de pouvoir, mais de sa force
créatrice il n’avait tiré que le minimum concret, lapins, pigeons, crayons,
bonbons. Et avoir à portée de mains ces choses vulgaires l’avait ennuyé jusqu’au
désir du suicide. Il n’avait pas vu que c’est dans la création de la beauté
désintéressée que se trouvait le salut.
La
nouvelle de M. Murilo Rubião n’a peut-être pas des intentions
philosophiques aussi transcendantes. Peu importe. Comme toute œuvre d’art
véritable, elle permet à qui cherche à entrer dans son intimité, une grande
latitude d’interprétation. Mais ses nouvelles ne sont pas toujours aussi
accessibles. D’autres, comme « La maison du tournesol rouge », se
déroulent dans une atmosphère de surréalisme presque impénétrable. Alors c’est
la richesse d’imagination de l’auteur qui nous émeut, c’est le caractère
gratuit de sa littérature qui nous enchante. Ce sont parfois des petits poèmes
en prose, des rêveries sans lien apparent, des images détachées dont le flux
est rompu de temps à autre par de violentes absurdités qui sont comme les
avertissements d’une pudeur rétive au sentimentalisme menaçant. Cette peur de
la banalité mièvre, de la confession personnelle, est une des caractéristiques
de la poséie des nouvelles générations, que les poètes écrivent en prose ou en
vers. Mais l’attitude de contrôle permanent et de défiance ne peut être
toujours maintenue. Alors s’élève lentement une vague d’angoisse, une marée montante
qui submerge tout et qui provoque les accents d’un désespoir d’autant plus
dense que réfréné, d’autant plus intense que dépourvu des valvules d’échappement
pour les explosions lyriques.
La
nouvelle intitulée « Marina, l’intouchable » commence sur cette image
convaincante : « Avant que j’aie
le temps d’ouvrir la fenêtre et de crier au secours, le silence m’enveloppa
complètement. » Poursuivre sur ce ton-là eût été s’abandonner, se
rendre peut-être ridicule en ces temps de dérision et de démoralisation. Que la
blague intervienne, donc, le paradoxe, que la confusion règne à la surface des
eaux, éloignant les intelligences malicieuses, capables de décrire dans tous
leurs détails les plus complexes processus psychologiques et sociaux, car mieux
vaut passer pour un fou, enfermé dans son hermétisme, que pour un idiot… Les irrépressibles
sollicitations de l’angoisse, de l’ennui, de la mélancolie, de l’amour
insatisfait, de l’insolubilité dans le monde faux, apparaîtront sous la forme
agressive de la suggestion vague, de l’allusion ésotérique, et alors les rôles
seront inversés, c’est le bourgeois qui aura peur du mystère, et qui se
manifestera « dans les journaux »
pour dénoncer « l’œil de Moscou ».
J’aimerais
que M. Murilo Rubião ait donné à son livre de nouvelles un titre un tout
petit peu différent. Non pas L’ex-magicien,
mais Le magicien, car sa prose est
bien celle d’un de ces types qui broient la montre du spectateur dans un verre
et, quand on découvre le récipient, il en sort un pigeon-voyageur avec une
lettre de la bien-aimée dans le bec. Il arrive que le spectateur ne sache que
faire de cette lettre, il ne comprend pas et demande, prosaïquement, qu’on lui
rende sa montre…
Trad.
A. C.
Source :
O Estado
de S. Paulo, 3 décembre 1947,
p. 6.
*
N. B. :
Cet article de notre cher Sérgio Milliet (1898-1966), poète, écrivain et critique issu de
la génération moderniste de 1922, accompagnait la publication du premier des sept recueils
de nouvelles de Murilo Rubião (1916-1991),
dont le premier volume en français, anthologique, vient de paraître :
Nous
y reviendrons.
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