Gaetaninho
une nouvelle
d’António de Alcântara
Machado
inédite en français
traduite ici d’après sa version primitive
traduite ici d’après sa version primitive
& suivie de quelques-unes de ses
illustrations
— Mince !
Gaetaninho… Ce que c’est chouette !
Gaetaninho resta
à méditer au milieu de la rue. Une Ford passa, et il ne vit pas la Ford ;
un charretier lui lança un juron, et il n’entendit pas le juron.
— Gaetaninho !
Rentre tout de suite à la maison !
Il tourna vers
sa mère son visage piqué de taches de rousseur et vit une pantoufle suspendue à
la dextre maternelle.
— Rentre !
Gaetaninho
approcha, petit à petit. Devant sa mère (Gaetaninho ne voyait que la
pantoufle), il appliqua un de ses trucs imbattables de champion de football :
il prit par la droite, s’arrêta de manière inattendue, exécuta un demi-tour
vertigineux, et fonça par la gauche, à l’intérieur. Oh ! feinte de
maître !
*
Gaetaninho, cette
nuit-là, rêva d’un enterrement. Quelle merveille ! Devant, quatre chevaux,
à panaches, tirant le fiacre du défunt. Ensuite, le prêtre. Ensuite, la
famille, le mouchoir sur les yeux. Et puis Gaetaninho, sur le siège avant d’un
fiacre, à côté du cocher. Quel bonheur ! Là, dans la rue Oriente, le petit
peuple ne circule autrement qu’à pied ou en tramway que les jours d’enterrement :
les jours d’enterrement il circule en fiacre. Gaetaninho voulait circuler en
fiacre. Pour cela il était nécessaire que, parent ou ami de la famille, quelqu’un
meure. Gaetaninho, alors, du haut d’un siège, se promènerait triomphant à
travers la ville, à travers les quartiers riches, sur le chemin de l’Araçá. Et si
le cocher lui laissait tenir le fouet ? Là oui, le triomphe serait
complet.
Il fallait que
quelqu’un meure. Sur ce point il n’y avait plus de doute. Mourir… Le plaisir de
Gaetaninho dépendait d’un malheur… Oui : d’un malheur. Mais Gaetaninho se
fichait bien des malheurs ! Ce qu’il voulait c’était circuler en fiacre, comme
Beppino. Il était jaloux de Beppino.
— Mince !
Gaetaninho… Ce que c’est chouette !
Il rêvait
éveillé. Lui sur le siège, avec sa marinière et son béret blanc où l’on pouvait
lire : Cuirassé São Paulo. Non.
Il était mieux en marinière, mais avec le petit canotier tout neuf que son
frère lui avait rapporté de l’usine. Il mettrait aussi ses jarretières noires,
pour que ses chaussettes ne tombent pas sur ses bottines. Dans le fiacre, son
père, ses deux frères aînés (l’un avec une cravate rouge, l’autre avec une
cravate verte) et son parrain, msieu Gennaro. Du monde sur les trottoirs, aux
portes et aux fenêtres des maisons, à regarder l’enterrement et à admirer
Gaetaninho. Un enterrement ? Ce ne serait pas mieux un mariage ? Zut !
Deux choses si ressemblantes ! Le même cérémonial…
Gaetaninho se
tint ferme dans son idée d’enterrement.
— Mince !
Gaetaninho… Ce que c’est chouette !
*
Le match dans la
rue était parvenu à son comble. Pourtant, Gaetaninho semblait absorbé.
— Tu connaissais
le père d’Afonso ?
— Non.
— Alors t’iras
pas à son enterrement demain. Moi, j’y vais !
— Gaetaninho !
Gêne pas le match !
— Laisse Beppino
tranquille !
Gaetaninho
regagna son poste de gardien. La petite balle, n°1, était entre les pieds de
Nino. Il approchait. Gaetaninho, le tronc courbé, les jambes pliées, les bras
tendus, les mains ouvertes, était sur ses gardes.
— Passe à
Beppino !
Beppino fit une
échappée et de toutes ses forces frappa la balle. La sphère passa haut, bien
haut, au-dessus du gardien. Alla rebondir au milieu de la rue.
— Va tirer en
enfer !
— Ferme-la, palestrino !
— Ramène la
balle !
Gaetaninho partit
en courant. Avant qu’il eût attrapé la balle, un tram le percuta. Le percuta et
le tua.
Dans le tram se
trouvait le père de Gaetaninho.
*
À 16 heures,
le lendemain, un enterrement partait de la rue Oriente et Gaetaninho ne se
trouvait sur le siège avant d’aucun des fiacres de la procession. Il se
trouvait dans le fiacre de devant, celui qui ouvrait la procession funèbre, à
l’intérieur d’un cercueil fermé, avec des fleurs bon marché dessus. Il était
vêtu de sa marinière, il avait ses jarretières, mais il ne portait pas son
petit canotier.
Celui qui, sur le siège avant d’un des fiacres du tout petit cortège,
exhibait un superbe costume rouge qui faisait mal aux yeux, c’était Beppino.
Trad. A. C.
Source :
António de
Alcântara Machado, « Gaetaninho », ill. de Ferrignac,
Jornal do Comércio, São Paulo,
25 janvier 1925, page « Só aos domingos ».
Nouv. version au sein du vol. :
Brás, Bexiga e Barra Funda (Notícias de São Paulo), s. l., s. n., 1927,
p. 23-29.
Édition française
(trad.,
notes, postface & bibliographie d’Antoine Chareyre)
en préparation.
vignettes de J. Carlos (1927) |
ill. d'Alceu Penna (1938) |
ill. de Jeronymo Ribeiro (1941) |
ill. d'Euclides L. Santos (1942) |
ill. d'Yllen Kerr (1948) |
ill. d'Italo Cenccini (1955) |
ill. de Sérvulo Esmeraldo (1956) |
ill. anonyme (1957) |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire