Quand
un livre est enfin véritablement en bonne voie d’aboutissement (présomption),
on range quelques papiers et on retrouve des choses étranges, risibles ou
émouvantes.
Mais
on n’est ni Gilbert Sorrentino ni Bernard Hœpffner, et on ne publie pas Mulligan
stew/Salmigondis.
Alors, pour ceux qu’inquiètent les questions de réception et pour l’édification des générations futures, voici une brève compilation typologique des lettres de refus essuyées par le
traducteur du poète guatémaltèque :
L’expéditif :
« malheureusement
non ! »
Le
négociant en gros :
« J’ai feuilleté les
textes que vous m’avez envoyés : c’est bien, mais je ne crois pas que j’arriverai
à les vendre à plus de 100 personnes. »
Le
zinzin :
« Nous vous
remercions pour votre proposition, mais nous ne pensons pas être le bon éditeur
pour un tel projet, car :
« 1) Nous ne
connaissons pas du tout ce poète, et n’avions même jamais entendu son nom.
« 2) Nous ne
croyons pas à la traduction de la poésie. Chaque fois, c’est raté. Il faut
apprendre les langues !
« 3) Nous
critiquons tous ces éditueurs qui ne se repaissent que de morts : La
Barque, Bourgois, Allia, etc. etc. Or, il y a plein de vivants, en France ou
même en Belgique ou au Luxembourg, qui crèvent littéralement de n’être pas
publiés. Aussi, soyons bibliques (Nouveau Testament), et laissons les morts
avec les morts !... (Bourgois & Co.)
« Nous sommes
fous... soit, mais nous sommes vivants ! »
La
porte étroite :
« Je ne suis pas
aussi convaincu que vous l’êtes quant à l’opportunité de publier Cardoza y
Aragón. Certes, ce que vous avez eu l’obligeance de me faire parvenir démontre
à l’envi des qualités de poète et informe utilement et “bellement” sur la
création d’une esthétique, tout en la mettant en œuvre. Ce qui n’est
certainement pas rien. Mais, à sa lecture, mon sentiment est qu’elle n’offre
pas réellement d’intérêt autre que documentaire. Elle documente un moment
esthétique et/ou politique (dans leurs acceptions les plus larges) mais sans,
aujourd’hui, pouvoir “vivre d’elle-même” indépendamment de cet ancrage
temporel. Cela n’est par exemple pas le cas d’un auteur comme Asturias, dont la
poésie (sa “prose” ne me paraît pas développer les mêmes qualités) reste
magnifiquement originale et lisible sans qu’on doive la ramener à un contexte
de quelque ordre soit-il.
« Entendons-nous
bien : je conçois parfaitement qu’une édition de ses œuvres puisse revêtir
une importance. Mais, à mon sens, uniquement au regard de ce dont elle montre
être la trace ou les linéaments. En dehors de son contexte (auquel elle rend
d’ailleurs souvent joliment grâce), cette poésie ne me convainc pas car elle
n’est aucunement originale. Existent déjà, en français ou non, et à foison, des
tentatives bien plus abouties de cet ordre.
« […] en tant
qu’éditeur […] mon objectif, riche d’une connaissance extrêmement large de la
littérature passée et contemporaine, est de proposer à la lecture des textes
qui enrichissent la pratique dans laquelle ils s’inscrivent. Force m’est de
reconnaître qu’ici, ce n’est nullement le cas. Et de vous en faire part. »
Sur
ce dernier refus, le seul à dire vrai qui témoigne d’une véritable conscience éditoriale et intellectuelle, il y aurait bien à redire, mais convenons qu’il est de la
plus extrême rareté de recevoir un compte rendu de lecture aussi avisé et
circonstancié ; il y a là, pour le moins, un débat de fond.
Les
éditeurs (ou « éditueurs », comme dit l’autre ?) qui se reconnaîtraient
éventuellement dans ces missives anonym(is)ées voudront bien n’en point prendre
ombrage. Ce n’est pas tellement une question de personnes, mais de système.
Un
système qui loue volontiers ces « passeurs » que sont les traducteurs,
ces tâcherons en vérité, mais dont la légèreté ou l’indifférence, ou tout
simplement les lacunes objectives à l’endroit de certaines littératures
étrangères déjà patrimoniales, ont de quoi laisser pantois. Du coup notre
ignorance bée et les lacunes à combler demeurent incommensurables.
Que
ces mêmes éditeurs, avec quelques autres, soient sincèrement remerciés d’avoir
du moins considéré une proposition spontanée et d’y avoir répondu (ne serait-ce
que par une lettre-type), quand tant d’autres, pourtant triés sur le volet, n’ont
jamais pris la peine de lui apporter la moindre réponse.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire