5 octobre 2012

Vient de paraître - Du Modernisme et des anthologies

La Poésie du Brésil
Anthologie du XVIe au XXe siècle

Choix, présentation et traduction de Max de Carvalho
en collaboration avec Magali de Carvalho et Françoise Beaucamp
et avec la participation d’Ariane Witkowski, Isabel Meyrelles,
Inês Oseki-Dépré, Patrick Quillier et Michel Riaudel

[et, pour les notices, d’Émilie Audigier, Glória Carneiro do Amaral, Renata Palotini,
Vagner Campilho, Antoine Chareyre, Saul Neiva et Michel Riaudel]

édition bilingue

Éditions Chandeigne (Paris)
« Bibliothèque Lusitane »
1512 p., 42€

- paru en octobre 2012 -



Le commentaire de Bois Brésil & Cie :

Anthologies, anthologies… On ne peut aimer vraiment les anthologies, quand tant d’auteurs méritent et attendent encore des volumes en leurs noms seuls. Quand la promesse des échantillons semble ajourner indéfiniment de plus systématiques importations. Quand l’on embrasse si volontiers pour si rarement étreindre. En voilà une pourtant qui devrait faire date et sans doute plus qu’aucune autre, de celles qui parurent en France en ce domaine si mal connu, si inégalement parcouru, de la poésie brésilienne, de toute la poésie brésilienne. Une somme inédite assurément, par l’amplitude et la richesse du panorama qu’elle propose (près de cinq siècles, plus de 130 auteurs…), et impressionnante par son ambition, dont témoignent aussi le nombre et la qualité des spécialistes et traducteurs qui ont apporté leur concours à la réalisation d’un tel projet.

Du fait même de l’ampleur de la sélection, ce luxe inespéré, et parce que son maître d’œuvre a souhaité composer, comme il s’en explique, un choix qui ne reconduise pas nécessairement « les renommées admises », « un consentement général qui n’offre en ces matières aucune garantie », « le suffrage du lecteur brésilien », autrement dit le canon local en vigueur (celui qui eût prescrit, justement, les dites « pièces d’anthologie »), on y trouvera maints auteurs habituellement négligés ou oubliés, et le lecteur spécialement curieux de ce qui s’écrivit en poésie à la faveur du mouvement moderniste des années 1920 pourra découvrir des noms et des textes qui, eux aussi, ont été largement relégués au second plan de l’histoire littéraire par la consécration forcément simplificatrice de quelques chefs de file, les deux Andrade, Mário et Oswald, et par celle de Carlos Drummond de Andrade et Manuel Bandeira, tous quatre heureusement rejoints ici, donc, par leurs comparses de l’époque.

Ainsi Max de Carvalho n’a-t-il pas craint de redonner toute leur place à Raul Bopp, Ronald de Carvalho, Guilherme de Almeida, Cassiano Ricardo, Menotti del Picchia, Ribeiro Couto, et jusqu’au confidentiel Luís Aranha, dont la présence n’était pas acquise et qui s’impose décidément, dans le champ éditorial de ces dernières années, comme un moderniste central en dépit de sa carrière poétique avortée. Autant de personnalités peu traduites, parfois pour la première fois en ces pages, et par lesquelles se recompose, à nos regards détrompés, la réelle diversité poétique du premier modernisme.

Revers peut-être de tant de générosité, ou limites de la subjectivité, il faudra déplorer par exemple de ne trouver ici absolument rien du vers-librisme halluciné de Paulicéia desvairada (1922) : pas un poème de ce recueil pourtant paradigmatique dans le choix consacré à Mário de Andrade ; pas un mot, pas la moindre référence, dans la notice biobibliographique de l’auteur. Dans la mesure où la préface de l’organisateur et traducteur principal est tout sauf un abrégé d’histoire de la poésie brésilienne, exercice jugé par trop académique peut-être mais que l’on attendait légitimement, et puisque les notices sont elles-mêmes, bien souvent, un peu chiches, on se demande comment un lecteur néophyte pourra comprendre vraiment quelque chose à la révolution poétique entreprise par la génération de 1922, si d’aventure il lui prenait d’ouvrir cette anthologie en pensant y trouver des repères sûrs. De même, Oswald de Andrade n’est pas des mieux servis, et ses morceaux choisis, par leur nombre et l’ensemble qu’ils forment, ne donnent certainement pas la meilleure ou la plus juste idée de ce que fut la poésie de Pau Brasil (1925) ; on peine encore, visiblement, à le prendre vraiment au sérieux.

Ces déséquilibres (et non ces lacunes, entendons-nous bien, car rien n’est plus absurde que de reprocher à une anthologie d’être incomplète), cette tendance plus ou moins tacite qui lèse Mário et Oswald de Andrade, ne s’expliquent que trop. De manière générale en effet, et paradoxalement, ces mêmes critères qui ont favorisé l’entrée au sommaire des poètes modernistes, et de telle ou telle pièce de ceux-ci, semblent faire prévaloir la qualité spécialement brésilienne de leur production au détriment relatif de leur dimension, précisément, moderniste et universelle, ou encore, osons le mot, « futuriste ». C’est un dilemme, évidemment, et un équilibre introuvable, pour ces poètes dont l’avant-gardisme a consisté précisément, à des moments et des degrés divers, à refonder une brésilianité qui fût propre, comme telle, à prendre part au concert contemporain des nations — mais il est manifeste, dans les intentions de l’anthologiste, qu’aux ruptures de paradigme, à la discontinuité constitutive du temps culturel et à la verticalité qui eût ouvert davantage de perspectives synchroniques, l’on a préféré ici l’horizontale continuité d’un génie national. Ces lignes de la quatrième de couverture, en sympathie avec la préface, le disent assez :

« plus qu’une anthologie, cette composition est une invitation à un voyage sensoriel, à la célébration d’une démesure propre au Brésil. C’est une brassée de poèmes rythmée par la splendeur des paysages, un catalogue émerveillé exaltant la saveur de l’île Brésil à travers ses fruits, sa flore, sa faune, sa toponymie scandée de noms indiens, etc. Autant de preuves que le poète du Brésil serait condamné à laisser transparaître, même malgré lui, ce vertige des sens et cette exubérance de la nature. »

N’a-t-on pas entendu cela, déjà ? Blaise Cendrars au Brésil : « Quelle merveille ! » Or l’intégration définitive des poètes modernistes à l’histoire de la modernité occidentale, et non leur assignation à résidence, n’aura lieu, peut-on estimer, qu’à partir du renversement radical de tels présupposés : veut-on donner à lire des Brésiliens qui furent poètes, ou des poètes qui furent brésiliens ? « La poésie du Brésil » : qu’est-ce à dire ? Se dessine là, ne nous le cachons pas, un départ entre deux parti-pris sans doute inconciliables, en matière d’engagement et d’approche éditoriale.

Soit. La critique des anthologies est un exercice facile. Et d’une pertinence suspecte, lorsqu’elle représente des intérêts particuliers. Cette Poésie du Brésil-là est une œuvre d’auteur revendiquée, l’œuvre d’un poète, et l’on ne saurait sans ridicule reprocher à Max de Carvalho, qui s’en justifie suffisamment, d’avoir composé à sa façon un ouvrage que personne avant lui n’a osé ou su entreprendre, et qui, par bien des côtés et pour la plupart des périodes couvertes, viendra satisfaire, sans doute pour longtemps, des curiosités autrement sans ressources.


Présentation de l’éditeur et sommaire :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire