13 février 2015

L’édito d’avant-hier soir / Lancement Pagu (7)

[L'Homme du Peuple]

Ordre et Progrès
par Oswald de Andrade

Nous n’avons ni généraux ni prophètes. Nous sommes l’opinion libre mais bien informée.
Nous savons nous positionner dans l’espace-temps.
Nous savons qu’il existe à São Paulo un courant séparatiste qui préfère l’occupation étrangère à l’évolution du Brésil dans la direction de l’explosion du monde par la guerre et par la révolution sociale.
Nous savons qu’aux frontières du Sud il existe un grand chef* capable de créer une aventure de caractère romantique et populaire.
Nous savons que le parti communiste, aidé par les faits, prépare les masses des usines et des campagnes, tandis que la résistance Koulak se forme dans la dissolution naturelle des latifundios. Dans ce secteur, le déterminisme historique se divise en deux et s’affronte.
Nous savons qu’il y a de mystiques estomacs vides au Nord-Est, des arrivistes dans le Sud, des indifférents à l’Ouest, des canons impérialistes dans nos eaux.
Nous savons qu’existe l’aile des gauchers, dans le monde comme ici. Y adhèrent ceux qui, croyant être de gauche, ne sont rien d’autre que des droitistes confus.
Entre les uns et les autres, nous nous positionnons avec une immense et claire sympathie du côté des revendications de notre peuple exploité.
Notre programme est simple — il suffit que d’intégrer notre drapeau. Donner vie, force et signification à une devise qui hier encore semblait vide et ironique — ORDRE ET progrès. Miracle des idées dites subversives !
Nous voulons la révolution nationale comme étape vers l’harmonie planétaire que nous promet l’ère de la machine.
Contre les grands trusts parasitaires qui vivent de notre bain turc de peuple agriculteur. Nous voulons la révolution technique et donc l’efficacité américaine. Nous admirons la Russie actuelle, car désordonnés que nous sommes encore, nous devons respecter les maisons avec comptabilité. Nous combattrons donc du côté de la rationalisation économique et contre le colin-maillard de la production capitaliste. Ordre économique, progrès technique et social. En 1923, la Russie avait un déficit de près de 6 millions de roubles dans sa métallurgie, tandis que prospéraient de manière stupéfiante les brasseries et les petits bars. Dans n’importe quel pays capitaliste orienté par les forces aveugles du marché et par le profit anarchique de l’offre et de la demande, les bars auraient prospéré comme ici le café sous la productive vigilance de MM. Lazard Brothers, et la métallurgie aurait péri.
Mais dans la patrie de Lénine, c’est le contraire qui se produisit. Il n’y eut jamais surproduction de brasseries et la métallurgie, qui au début fut aidée, concentre aujourd’hui les merveilleux résultats du plan quinquennal.
Ici, les capitaux étrangers ont étrangement déformé notre économie.
D’un pays qui possède la plus grande réserve de fer et le plus haut potentiel hydraulique, ils ont fait un pays de dessert. Café, sucre, tabac, bananes.
Qu’ils nous laissent au moins les bananes !
Les capitaux étrangers ont acheté nos chutes d’eau et ont créé un sordide et mol urbanisme colonial qui est devenu ce qu’ils désiraient — l’un des meilleurs marchés pour leurs produits et leurs hochets.
De la sorte, l’or entre par le café et sort par le pot d’échappement des automobiles. Nous dépensons trois cent mille contos annuels en pneumatiques, essence ou choses de ce genre. Et l’Amazonie du caoutchouc comme le bassin de l’alcool-moteur périssent.
Notre capacité intérieure de consommation pour le café (40 millions d’habitants) serait normalement de 5 millions de sacs par an. Mais qui a dit que le Pauliste ou n’importe quel autre homme riche du littoral s’est jamais incommodé plus que lyriquement des populations affamées du Nordeste ou des récents esclaves de Mister Ford ? Nous protégeons le sel d’Espagne contre la production des salines du Rio Grande do Norte. Nous mangeons la pomme de Californie, la morue et la sardine, mais nous maintenons au plus avilissant des bas niveaux celui qui produit les fruits les meilleurs du monde et celui qui pêche l’abondant poisson de nos rivières et de notre mer. Si nous n’achetons rien aux autres États du pays, il est plus que logique que nous suffoquions sous 22 millions de sacs de café, la pierre y compris !
Dans le tram où nous montons, dans le cinéma où nous entrons, dans le pain que nous mangeons, nous mettons avec le sourire la généreuse obole de plus de 50% pour les petits pauvres étrangers qui ont aidé à créer notre grandeur.
Telle est la situation du Brésil, dans laquelle O HOMEM DO POVO se situe pour dire ce qu’il endure, ce qu’il pense et ce qu’il veut.

(O. de Andrade, « Ordem e Progresso »,
édito dO Homem do Povo, São Paulo, n°1, 27 mars 1931.)

* Luís Carlos Prestes (1898-1990), figure majeure du tenentismo, mouvement politico-militaire insurrectionnel dans les années 1920 ; passé au marxisme et alors en exil à Montevideo (Uruguay).
Trad. A. C.

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