Ordre et Progrès
par Oswald de Andrade
Nous n’avons ni généraux
ni prophètes. Nous sommes l’opinion libre mais bien informée.
Nous savons nous positionner
dans l’espace-temps.
Nous savons qu’il existe
à São Paulo un courant séparatiste qui préfère l’occupation étrangère à l’évolution
du Brésil dans la direction de l’explosion du monde par la guerre et par la
révolution sociale.
Nous savons qu’aux
frontières du Sud il existe un grand chef* capable de créer une aventure de
caractère romantique et populaire.
Nous savons que le parti
communiste, aidé par les faits, prépare les masses des usines et des campagnes,
tandis que la résistance Koulak se forme dans la dissolution naturelle des
latifundios. Dans ce secteur, le déterminisme historique se divise en deux et s’affronte.
Nous savons qu’il y a de
mystiques estomacs vides au Nord-Est, des arrivistes dans le Sud, des
indifférents à l’Ouest, des canons impérialistes dans nos eaux.
Nous savons qu’existe l’aile
des gauchers, dans le monde comme ici. Y adhèrent ceux qui, croyant être de
gauche, ne sont rien d’autre que des droitistes confus.
Entre les uns et les
autres, nous nous positionnons avec une immense et claire sympathie du côté des
revendications de notre peuple exploité.
Notre programme est
simple — il suffit que d’intégrer notre drapeau. Donner vie, force et
signification à une devise qui hier encore semblait vide et ironique — ORDRE ET
progrès. Miracle des idées dites
subversives !
Nous voulons la révolution
nationale comme étape vers l’harmonie planétaire que nous promet l’ère de la
machine.
Contre les grands trusts
parasitaires qui vivent de notre bain turc de peuple agriculteur. Nous voulons
la révolution technique et donc l’efficacité américaine. Nous admirons la
Russie actuelle, car désordonnés que nous sommes encore, nous devons respecter
les maisons avec comptabilité. Nous combattrons donc du côté de la
rationalisation économique et contre le colin-maillard de la production capitaliste.
Ordre économique, progrès technique et social. En 1923, la Russie avait un
déficit de près de 6 millions de roubles dans sa métallurgie, tandis que
prospéraient de manière stupéfiante les brasseries et les petits bars. Dans n’importe
quel pays capitaliste orienté par les forces aveugles du marché et par le
profit anarchique de l’offre et de la demande, les bars auraient prospéré comme
ici le café sous la productive vigilance de MM. Lazard Brothers, et la
métallurgie aurait péri.
Mais dans la patrie de
Lénine, c’est le contraire qui se produisit. Il n’y eut jamais surproduction de
brasseries et la métallurgie, qui au début fut aidée, concentre aujourd’hui les
merveilleux résultats du plan quinquennal.
Ici, les capitaux
étrangers ont étrangement déformé notre économie.
D’un pays qui possède la
plus grande réserve de fer et le plus haut potentiel hydraulique, ils ont fait
un pays de dessert. Café, sucre, tabac, bananes.
Qu’ils nous laissent au
moins les bananes !
Les capitaux étrangers
ont acheté nos chutes d’eau et ont créé un sordide et mol urbanisme colonial
qui est devenu ce qu’ils désiraient — l’un des meilleurs marchés pour leurs
produits et leurs hochets.
De la sorte, l’or entre
par le café et sort par le pot d’échappement des automobiles. Nous dépensons
trois cent mille contos annuels en pneumatiques, essence ou choses de ce genre.
Et l’Amazonie du caoutchouc comme le bassin de l’alcool-moteur périssent.
Notre capacité
intérieure de consommation pour le café (40 millions d’habitants) serait
normalement de 5 millions de sacs par an. Mais qui a dit que le Pauliste ou n’importe
quel autre homme riche du littoral s’est jamais incommodé plus que lyriquement
des populations affamées du Nordeste ou des récents esclaves de Mister Ford ?
Nous protégeons le sel d’Espagne contre la production des salines du Rio Grande
do Norte. Nous mangeons la pomme de Californie, la morue et la sardine, mais
nous maintenons au plus avilissant des bas niveaux celui qui produit les fruits
les meilleurs du monde et celui qui pêche l’abondant poisson de nos rivières et
de notre mer. Si nous n’achetons rien aux autres États du pays, il est plus que
logique que nous suffoquions sous 22 millions de sacs de café, la pierre y
compris !
Dans le tram où nous
montons, dans le cinéma où nous entrons, dans le pain que nous mangeons, nous
mettons avec le sourire la généreuse obole de plus de 50% pour les petits pauvres étrangers qui ont aidé à créer notre grandeur.
Telle est la situation
du Brésil, dans laquelle O HOMEM DO POVO se situe pour dire ce qu’il endure, ce
qu’il pense et ce qu’il veut.
(O. de Andrade, « Ordem e Progresso »,
édito d’O
Homem do Povo, São Paulo, n°1, 27 mars
1931.)
* Luís Carlos Prestes
(1898-1990), figure majeure du tenentismo,
mouvement politico-militaire insurrectionnel dans les années 1920 ; passé au marxisme et alors
en exil à Montevideo (Uruguay).
Trad. A. C.
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