18 février 2015

Dans les archives de la police politique / Lancement Pagu (16)

São Paulo, 23 janvier 1936, au soir : Patrícia Galvão (1910-1962), dite Pagu, membre du PCB illégal, première femme incarcérée pour raisons politiques au Brésil, dès 1931, et surveillée de plus en plus étroitement par la police politique, le Deops (Departamento de Ordem Política e Social), qui intensifiait alors la traque des activistes communistes au lendemain de l’insurrection manquée (nov. 1935) de Luís Carlos Prestes — Pagu, lasse, est enfin appréhendée « en flagrant délit d’action extrémiste » (comme le rapporte la presse), c’est-à-dire apparemment sur le point de transmettre du matériel de propagande, en pleine rue, lors d’un rendez-vous clandestin.
Ce n’est pas sa première arrestation, mais ce coup de filet augure de sa mise à l’ombre pour un certain temps : inculpée de crime politique, relaxée par la Justice Fédérale de São Paulo (faute de preuves concluantes) puis condamnée plus sûrement à deux ans et demi de prison par le Tribunal Militaire de Rio, elle s’évade en octobre 1937 pour quelques mois, à la faveur d’une hospitalisation, s’engage dans un groupe trotskiste dissident, et se voit nouvellement arrêtée en avril 1938 et condamnée à deux ans par le Tribunal de Segurança Nacional. De 25 à 30 ans, près de cinq années, cavale comprise, dans les geôles d’une sombre dictature. Victime, parmi bien d’autres, de ces années de terreur dans le Brésil de Vargas.

Le procès-verbal de son interrogatoire, le jour-même à la Surintendance de l’Ordre Politique et Social, jette une lumière crue sur ce que pouvait être alors le quotidien d’un militant poussé à la clandestinité, comme sur l’humeur politique de Pagu, en consignant…

que depuis l’année 1930 la déclarante sympathise avec le communisme, parce qu’elle voit des injustices dans le régime présent et que seul le Parti Communiste peut y apporter une solution, en installant la dictature du prolétariat dans un premier temps, pour ensuite établir le régime communiste ; que, si la déclarante en ayant l’occasion, elle a l’intention de prêter main forte, la déclarante se refuse à déclarer si elle aidera ou non la lutte révolutionnaire ; que la déclarante a déjà été détenue douze fois, plus ou moins, toujours sans aucune preuve ; que la déclarante a été arrêtée une fois à Santos durant un meeting du « Secours Rouge », Herculano de Souza étant mort à cette occasion ; que la déclarante, quant au matériel trouvé à son domicile, doit informer qu’elle n’en était que dépositaire, toute question à ce sujet étant inutile, parce qu’elle ne sait pas le nom de la personne qui l’a laissé là, ne le connaissant que de vue ; que la déclarante adopte le nom de « Paula » depuis douze ou quinze jours, parce qu’elle savait qu’elle était recherchée par la police ; que la déclarante réside dans la rue susmentionnée [rua Domingos de Morais] depuis douze ou quinze jours, étant donné qu’elle a résidé auparavant dans la maison d’un conducteur de la Light, Rizzieri Mazziotti, vers le Bosque da Saúde, durant huit jours ; que de cette adresse la déclarante est allée résider à Santo Amaro, rue Senador Flaquer, dont elle ne se rappelle plus le numéro, ne faisant qu’y résider ; que la déclarante, contre la volonté du conducteur Rizzieri Mazziotti, a laissé dans sa maison une machine à écrire, avec laquelle elle travaillait sur des traductions et des services particuliers ; que la déclarante a résidé également à la rédaction du journal A Plateia, étant assuré que la machine l’a suivie là également ; que, quant aux papiers stencils trouvés à son domicile aujourd’hui, la déclarante doit également dire qu’ils ne lui appartiennent pas ; que la déclarante est arrivée d’Europe il y a trois mois plus ou moins et que, de passage, elle s’est trouvée en Russie, y ayant perfectionné sa sympathie pour le communisme s’agissant du seul pays où il a été installé ; que, quant au matériel appréhendé aujourd’hui à son domicile, concernant l’« Aliança Nacional Libertadora » et le « Governo Nacional Popular Revolucionário », elle ne peut non plus rien dire, car, comme elle l’a dit, elle en était dépositaire, ne sachant rien à ce sujet. Elle n’a rien dit de plus.

(doc. dactylographié, dossier P. Galvão du Fonds Deops,
Archives Publiques de l’État de São Paulo ;
reproduit dans Viva Pagu : Fotobiografia de Patrícia Galvão,
éd. de Lúcia Maria Teixeira Furlani et Geraldo Galvão Ferraz,
Santos/ São Paulo, Unisanta/ Imprensa Oficial do Estado de São Paulo, 2010, p. 156.)

Photo de P. Galvão, fournie par les services de police
et diffusée par la presse en janvier 1936 :
fonds Lúcia Maria Teixeira Furlani / Centro de Estudos Pagu Unisanta.

Trad. A. C.

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