Le
lundi
par
Stiunirio Gama
Stiunirio Gama
[Mário
Guastini]
Les
lecteurs n’ignorent pas les liens d’amitié qui m’attachent à António de
Alcântara Machado. À la parution de son Pathé-Baby,
ce livre charmant dont l’édition fut rapidement épuisée, chose rare dans ce
pays, où l’on ne recherche que les livres d’auteurs étrangers, j’ai dit à son
sujet une quantité de choses qui pourraient concourir aujourd’hui à ce que je
sois tenu pour suspect, si les lecteurs ne connaissaient sa valeur à travers
ses magnifiques solos de cavaquinho, chaque samedi.
*
Je
suis, il n’y a aucun doute, un grand ami d’Alcântara et l’admirateur sincère de
son beau talent. L’amitié et l’admiration que je lui voue depuis tant d’années,
néanmoins, ne pèsent en rien dans l’appréciation que je me propose de faire de
son nouveau travail, lancé sur le marché du livre la semaine dernière. Ne
l’influencent pas non plus les généreux propos, écrits et imprimés, par
lesquels il m’a distingué dans les pages d’honneur de son volume de nouvelles,
destiné à l’accueil le plus enthousiaste de la part de la critique et du
public.
L’amitié
ne m’a jamais aveuglé. Les amis véritables le sont de fait quand ils
manifestent franchement leur manière de penser, que cela plaise ou non. D’avec
Alcântara Machado (António), j’ai divergé bien souvent. Et bien souvent nous
avons eu des débats animés, desquels notre amitié est sortie renforcée. Et nous
aurons encore de nouvelles divergences, de nouveaux débats. Je ne suis pas,
donc, un inconditionnel. Le jour où, pour être agréable à quelqu’un, il me
faudrait contrarier mon intime opinion, assurément la plume ne m’obéirait pas.
Alcântara et tous mes compagnons me connaissent assez pour attester que je ne
dis pas cela dans le but de valoriser les phrases que Brás, Bexiga et Barra Funda m’ont suggérées.
Absolument.
*
Comme
Pathé-Baby, les nouvelles rassemblées
dans l’élégant volume d’António sont nées dans les colonnes du Jornal do Comércio.
« Gaetaninho », la première d’entre elles, parut dans la page « Seulement le dimanche ». Après celle-ci, il en vint d’autres. La plupart, toutefois,
sont inédites. Mais je ne suis pas chargé de raconter comment sont nées ces
nouvelles, ou plutôt ces études de types qui remplissent les rues de São Paulo.
Il m’incombe de dire si elles ont du mérite. Et avant toute chose, sans
détailler, j’affirme que Brás, Bexiga et
Barra Funda est un livre simplement délicieux, qu’on lit d’une traite et
qui nous rend triste quand on arrive à la classique fin.
António
de Alcântara Machado est un écrivain qui séduit par sa prose claire et
incisive, par son observation pénétrante et peu commune chez les hommes de son
âge. Alcântara est un analyste dont on peut être jaloux. En deux coups de
plume, il trace le profil physique, moral et intellectuel de ses types, qui
vivent, s’agitent et conversent avec le lecteur.
Et
si Pathé-Baby accusait l’écrivain
impressionniste par excellence, Brás,
Bexiga et Barra Funda permet d’affirmer, sans crainte, que son auteur, s’il
le veut, sera un romancier notable. Il ne lui manque pas d’imagination pour
cela, et il a en reste de ces qualités dont l’absence se ressent chez la
plupart de nos écrivains qui ont essayé de faire un roman. Le secret du roman
ne réside pas dans l’intrigue, mais dans la présentation des types imaginés et
dans le développement des épisodes qui doivent se dérouler avec spontanéité et
légèreté. Or chacune des nouvelles du nouveau livre d’António de Alcântara
Machado manifeste toutes ces qualités, et le désigne comme l’un des rares
publicistes nationaux capables de nous offrir, sous peu, d’excellents romans de
mœurs.
*
Brás, Bexiga et Barra
Funda
n’est pas un livre. C’est l’auteur qui l’affirme et je ne suis pas d’accord.
Pour António, c’est un journal qui réunit seulement des informations de São
Paulo. C’est une feuille qui cherche à présenter des reportages, des scènes de
rue, dans lesquelles figurent des personnages qui formeront la population de la
São Paulo de demain. Les Italo-Paulistes ont mérité l’attention de l’écrivain,
qui a saisi des instantanés des plus intéressants. Il a saisi les types et a
reproduit leur curieux langage. Et il l’a fait avec grand bonheur. Que le
lecteur s’enferme dans une pièce et qu’il lise ensuite, à voix haute, l’une des
nouvelles d’António. Les gens qui se trouveront dehors auront l’exacte
impression d’entendre l’un de ces petits commentateurs passionnés des matchs du
Palestra ou l’une de ces charmantes petites couturières aux cheveux courts en
train de raconter à son amie ses aventures amoureuses.
Pour
beaucoup, les pages de Brás, Bexiga et
Barra Funda sembleront des charges satiriques, révélatrices de
l’italophobie de l’auteur.
Il
sera dans l’erreur, toutefois, celui qui voudra les apprécier de la sorte, car l’écrivain,
dans sa préface, qu’il a subordonnée au titre « Éditorial », a
expliqué clairement, loyalement son intention. Et même s’il ne l’avait pas
fait, suffirait pour cela le groupe de noms italo-brésiliens auxquels le livre
est dédié.
Malgré
cela, toutefois, il me semble opportun de reproduire, ici, les dernières
phrases de l’« Éditorial » :
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Brás, Bexiga
et Barra Funda,
en tant que membre de la bonne presse, tente de fixer tout au plus quelques
aspects de la vie laborieuse, intime et quotidienne de ces nouveaux métis
nationaux et nationalistes. C’est un journal. Rien de plus. De l’information.
C’est tout. Il n’a ni parti ni idéal. Il ne commente pas. Il ne discute pas. Il
n’approfondit pas. Il n’approfondit pas, surtout. Dans ses colonnes, on ne
trouve pas une seule ligne de doctrine. Ce ne sont que faits divers. Événements
de la chronique urbaine. Épisodes de la rue. L’aspect ethnico-social de cette
toute nouvelle race de géants rencontrera demain son historien. Et il sera
alors analysé et pesé dans un livre. Brás,
Bexiga et Barra Funda n’est pas un livre. En inscrivant sur sa colonne d’honneur les
noms de quelques Italo-Brésiliens illustres, ce journal rend hommage à la force
et aux vertus de la nouvelle fournée de mamalucos. Ce sont des noms d’hommes de
lettres, de journalistes, de scientifiques, de politiciens, de sportifs,
d’artistes et d’industriels. Tous figurent parmi ceux qui stimulent et exaltent
actuellement la vie spirituelle et matérielle de São Paulo. Brás, Bexiga et Barra Funda n’est
pas une satire.
*
António
de Alcântara Machado n’a fixé que quelques aspects de la vie laborieuse, intime
et quotidienne de ces nouveaux métis nationaux et nationalistes. Il a bien
dit : nationaux et nationalistes, car le fils d’Italien né au Brésil
nourrit un amour pour le pays qui fut son berceau au point de devenir un
jacobin extrême. Dans un cercle où l’on chercherait à égratigner notre pays,
l’Italo-Brésilien sera plus ardent à la défense que le Brésilien pur.
Mais
en fixant ces aspects, l’auteur de Brás,
Bexiga et Barra Funda a saisi ses types très au rez-de-chaussée. Il s’est plongé,
peut-être, dans la majorité. Force est toutefois de reconnaître que l’illustre
écrivain n’a pas fixé la mentalité de toute la nouvelle population formée par
les Italo-Paulistes. Ni la mentalité, ni le parler. Et, sans le vouloir, là
s’arrête la sympathie de Martim Damy.
Ce
choix, toutefois, a été certainement délibéré. Si António avait cherché à
saisir ses instantanés dans les couches des entresols et des premiers étages, il
se trouverait bien du monde pour vouloir lui attribuer des desseins péjoratifs.
Et il n’a pas eu de tels desseins. Je le garantis.
*
J’ai
dit plus haut que Brás, Bexiga et Barra
Funda est un livre délicieux. Et il l’est, de fait ; sans
complaisance. Les nouvelles qu’il réunit dans ses pages sont de véritables
bijoux littéraires. N’importe laquelle, prise au hasard, plaira. Et même si ce n’était
pas le cas, il suffirait d’une, une seule, pour confirmer l’indiscutable valeur
d’António de Alcântara Machado.
« Corinthians
(2) vs Palestra (1) » est une
perfection. En quatre pages et demie, le lecteur assiste à l’un de ces excitants
matchs de football en suivant toutes les péripéties, sans perdre une seule
phrase, un seul mouvement des supporters passionnés. Ce sont quatre pages et
demie vivantes, ce sont vingt-deux joueurs qui driblent et marquent des buts
pour leur club, c’est un monde de spectateurs qui entendent la chaleur et sentent
les cris, c’est une foule qui vibre d’enthousiasme.
Et
pour celui qui est capable de ce prodige, tous les éloges seront insuffisants.
Trad.
A. C.
Source :
Stiunirio
Gama [pseud.], chronique « Às segundas »,
Jornal do Comércio, São Paulo, 14 mars 1927.
Vol. en préparation :
Vol. en préparation :
António de Alcântara Machado,
Brás, Bexiga et Barra Funda (Informations de São Paulo) [1927],
trad., notes, postface & bibliographie d’Antoine Chareyre.
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