10 novembre 2019

La critique d'avant-hier soir

Le lundi
par
Stiunirio Gama
[Mário Guastini]

Les lecteurs n’ignorent pas les liens d’amitié qui m’attachent à António de Alcântara Machado. À la parution de son Pathé-Baby, ce livre charmant dont l’édition fut rapidement épuisée, chose rare dans ce pays, où l’on ne recherche que les livres d’auteurs étrangers, j’ai dit à son sujet une quantité de choses qui pourraient concourir aujourd’hui à ce que je sois tenu pour suspect, si les lecteurs ne connaissaient sa valeur à travers ses magnifiques solos de cavaquinho, chaque samedi.

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Je suis, il n’y a aucun doute, un grand ami d’Alcântara et l’admirateur sincère de son beau talent. L’amitié et l’admiration que je lui voue depuis tant d’années, néanmoins, ne pèsent en rien dans l’appréciation que je me propose de faire de son nouveau travail, lancé sur le marché du livre la semaine dernière. Ne l’influencent pas non plus les généreux propos, écrits et imprimés, par lesquels il m’a distingué dans les pages d’honneur de son volume de nouvelles, destiné à l’accueil le plus enthousiaste de la part de la critique et du public.
L’amitié ne m’a jamais aveuglé. Les amis véritables le sont de fait quand ils manifestent franchement leur manière de penser, que cela plaise ou non. D’avec Alcântara Machado (António), j’ai divergé bien souvent. Et bien souvent nous avons eu des débats animés, desquels notre amitié est sortie renforcée. Et nous aurons encore de nouvelles divergences, de nouveaux débats. Je ne suis pas, donc, un inconditionnel. Le jour où, pour être agréable à quelqu’un, il me faudrait contrarier mon intime opinion, assurément la plume ne m’obéirait pas. Alcântara et tous mes compagnons me connaissent assez pour attester que je ne dis pas cela dans le but de valoriser les phrases que Brás, Bexiga et Barra Funda m’ont suggérées.
Absolument.

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Comme Pathé-Baby, les nouvelles rassemblées dans l’élégant volume d’António sont nées dans les colonnes du Jornal do Comércio. « Gaetaninho », la première d’entre elles, parut dans la page « Seulement le dimanche ». Après celle-ci, il en vint d’autres. La plupart, toutefois, sont inédites. Mais je ne suis pas chargé de raconter comment sont nées ces nouvelles, ou plutôt ces études de types qui remplissent les rues de São Paulo. Il m’incombe de dire si elles ont du mérite. Et avant toute chose, sans détailler, j’affirme que Brás, Bexiga et Barra Funda est un livre simplement délicieux, qu’on lit d’une traite et qui nous rend triste quand on arrive à la classique fin.
António de Alcântara Machado est un écrivain qui séduit par sa prose claire et incisive, par son observation pénétrante et peu commune chez les hommes de son âge. Alcântara est un analyste dont on peut être jaloux. En deux coups de plume, il trace le profil physique, moral et intellectuel de ses types, qui vivent, s’agitent et conversent avec le lecteur.
Et si Pathé-Baby accusait l’écrivain impressionniste par excellence, Brás, Bexiga et Barra Funda permet d’affirmer, sans crainte, que son auteur, s’il le veut, sera un romancier notable. Il ne lui manque pas d’imagination pour cela, et il a en reste de ces qualités dont l’absence se ressent chez la plupart de nos écrivains qui ont essayé de faire un roman. Le secret du roman ne réside pas dans l’intrigue, mais dans la présentation des types imaginés et dans le développement des épisodes qui doivent se dérouler avec spontanéité et légèreté. Or chacune des nouvelles du nouveau livre d’António de Alcântara Machado manifeste toutes ces qualités, et le désigne comme l’un des rares publicistes nationaux capables de nous offrir, sous peu, d’excellents romans de mœurs.

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Brás, Bexiga et Barra Funda n’est pas un livre. C’est l’auteur qui l’affirme et je ne suis pas d’accord. Pour António, c’est un journal qui réunit seulement des informations de São Paulo. C’est une feuille qui cherche à présenter des reportages, des scènes de rue, dans lesquelles figurent des personnages qui formeront la population de la São Paulo de demain. Les Italo-Paulistes ont mérité l’attention de l’écrivain, qui a saisi des instantanés des plus intéressants. Il a saisi les types et a reproduit leur curieux langage. Et il l’a fait avec grand bonheur. Que le lecteur s’enferme dans une pièce et qu’il lise ensuite, à voix haute, l’une des nouvelles d’António. Les gens qui se trouveront dehors auront l’exacte impression d’entendre l’un de ces petits commentateurs passionnés des matchs du Palestra ou l’une de ces charmantes petites couturières aux cheveux courts en train de raconter à son amie ses aventures amoureuses.
Pour beaucoup, les pages de Brás, Bexiga et Barra Funda sembleront des charges satiriques, révélatrices de l’italophobie de l’auteur.
Il sera dans l’erreur, toutefois, celui qui voudra les apprécier de la sorte, car l’écrivain, dans sa préface, qu’il a subordonnée au titre « Éditorial », a expliqué clairement, loyalement son intention. Et même s’il ne l’avait pas fait, suffirait pour cela le groupe de noms italo-brésiliens auxquels le livre est dédié.
Malgré cela, toutefois, il me semble opportun de reproduire, ici, les dernières phrases de l’« Éditorial » :
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Brás, Bexiga et Barra Funda, en tant que membre de la bonne presse, tente de fixer tout au plus quelques aspects de la vie laborieuse, intime et quotidienne de ces nouveaux métis nationaux et nationalistes. C’est un journal. Rien de plus. De l’information. C’est tout. Il n’a ni parti ni idéal. Il ne commente pas. Il ne discute pas. Il n’approfondit pas. Il n’approfondit pas, surtout. Dans ses colonnes, on ne trouve pas une seule ligne de doctrine. Ce ne sont que faits divers. Événements de la chronique urbaine. Épisodes de la rue. L’aspect ethnico-social de cette toute nouvelle race de géants rencontrera demain son historien. Et il sera alors analysé et pesé dans un livre. Brás, Bexiga et Barra Funda n’est pas un livre. En inscrivant sur sa colonne d’honneur les noms de quelques Italo-Brésiliens illustres, ce journal rend hommage à la force et aux vertus de la nouvelle fournée de mamalucos. Ce sont des noms d’hommes de lettres, de journalistes, de scientifiques, de politiciens, de sportifs, d’artistes et d’industriels. Tous figurent parmi ceux qui stimulent et exaltent actuellement la vie spirituelle et matérielle de São Paulo. Brás, Bexiga et Barra Funda n’est pas une satire.

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António de Alcântara Machado n’a fixé que quelques aspects de la vie laborieuse, intime et quotidienne de ces nouveaux métis nationaux et nationalistes. Il a bien dit : nationaux et nationalistes, car le fils d’Italien né au Brésil nourrit un amour pour le pays qui fut son berceau au point de devenir un jacobin extrême. Dans un cercle où l’on chercherait à égratigner notre pays, l’Italo-Brésilien sera plus ardent à la défense que le Brésilien pur.
Mais en fixant ces aspects, l’auteur de Brás, Bexiga et Barra Funda a saisi ses types très au rez-de-chaussée. Il s’est plongé, peut-être, dans la majorité. Force est toutefois de reconnaître que l’illustre écrivain n’a pas fixé la mentalité de toute la nouvelle population formée par les Italo-Paulistes. Ni la mentalité, ni le parler. Et, sans le vouloir, là s’arrête la sympathie de Martim Damy.
Ce choix, toutefois, a été certainement délibéré. Si António avait cherché à saisir ses instantanés dans les couches des entresols et des premiers étages, il se trouverait bien du monde pour vouloir lui attribuer des desseins péjoratifs. Et il n’a pas eu de tels desseins. Je le garantis.

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J’ai dit plus haut que Brás, Bexiga et Barra Funda est un livre délicieux. Et il l’est, de fait ; sans complaisance. Les nouvelles qu’il réunit dans ses pages sont de véritables bijoux littéraires. N’importe laquelle, prise au hasard, plaira. Et même si ce n’était pas le cas, il suffirait d’une, une seule, pour confirmer l’indiscutable valeur d’António de Alcântara Machado.
« Corinthians (2) vs Palestra (1) » est une perfection. En quatre pages et demie, le lecteur assiste à l’un de ces excitants matchs de football en suivant toutes les péripéties, sans perdre une seule phrase, un seul mouvement des supporters passionnés. Ce sont quatre pages et demie vivantes, ce sont vingt-deux joueurs qui driblent et marquent des buts pour leur club, c’est un monde de spectateurs qui entendent la chaleur et sentent les cris, c’est une foule qui vibre d’enthousiasme.
Et pour celui qui est capable de ce prodige, tous les éloges seront insuffisants.

Trad. A. C.


Source :
Stiunirio Gama [pseud.], chronique « Às segundas »,
Jornal do Comércio, São Paulo, 14 mars 1927.

Vol. en préparation :
António de Alcântara Machado,
Brás, Bexiga et Barra Funda (Informations de São Paulo) [1927],
trad., notes, postface & bibliographie d’Antoine Chareyre.

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