Registre littéraire
par João Ribeiro
par João Ribeiro
Mara Lobo, Parc industriel, São Paulo, s. n.
Mara Lobo, ou Pagu,
comme nous le révèle une note bibliographique de ce journal,
s’est faite ouvrière pour connaître la vie prolétaire sous tous ses aspects de
misère morale victime de l’exploitation des millionnaires.
Quel que soit l’excès
littéraire de ce roman anti-bourgeois, la vérité ressort involontairement de
ces pages véhémentes et tristes. Les mêmes misères et exploitations existent à
l’intérieur de la bourgeoisie, dans la lutte sentimentale qui oppose les forts
et les habiles aux êtres faibles et sans défense. On ne peut nier que le bourgeois n’est qu’un surnom de l’exploiteur quelle que soit son origine de classe, indistinctement. C’est un surnom littéraire quand les victimes sont
humbles et sans protection, sans argent et sans ressources. Alors, le prétendu
bourgeois encourage et fomente les tendances érotiques des malheureuses qui lui
tombent entre les mains, par ambition, sous la force de désirs irrépressibles
de vanité, de luxe et d’oisiveté. Elles paraissent alors des victimes, quand il
n’est pas rare qu’elles soient également des bourreaux, et elles font leurs
affaires comme elles peuvent. Enfin, l’argent est la cause principale de ces
drames plus ou moins honteux et ignorés. Quoi qu’il en soit, les faits sont
positifs et les misérables créatures s’élèvent et retombent selon ce rythme de
dépravation et d’aventure.
Mara Lobo a choisi son
thème dans la classe prolétaire la plus prédisposée à ces catastrophes
amoureuses et lubriques. Les filles que le Moloch de l’industrie prépare au
sacrifice forment une armée dans les grandes villes industrielles. Elles sont
comme ces domestiques qui profitent de ce qu’elles appellent l’anse du panier*.
Naturellement, ceux qui
profitent sont les bourgeois, parce qu’ils ont plus d’argent et qu’ils peuvent
le consacrer à ces dépenses marginales, sans travail de contrainte et presque
sans crime, au sens de la loi, qui
est essentiellement bourgeoise.
Le roman de Mara Lobo
est un pamphlet admirable d’observations et de probabilités.
La phrase qui suit
définit l’esprit du livre :
« À travers les cent rues du Brás, la longue file matinale des enfants
naturels de la société. Enfants naturels parce qu’ils se distinguent des autres
qui ont eu de copieux héritages et accès à tout dans la vie. La bourgeoisie a
toujours des enfants légitimes. Même si les épouses vertueuses sont adultères… »
Il y a dans ces lignes
quelques morceaux de vérité. Et c’est pourquoi, sans être intégralement
authentique, le livre de Mara Lobo n’est pas l’un de ces mensonges de la
convention sociale.
Les descriptions sont
magnifiques et les dialogues entre les filles qui, le lundi, sortent en
direction des usines, sont de cette teneur :
« — Moi je me marierai qu’avec un travailleur.
« — La poisse ! Avec moi ça fait assez d’une pauvre. Passer toute ma
vie dans cette m… »
Il y a, par conséquent, une volonté de sortir de
l’ignominie du travail. Le dit bourgeois n’est parfois pas plus qu’un incitateur,
un calculateur sans succès.
Le style du livre est l’un des éléments de
satisfaction de Parc industriel.
Pour les « filles vachement jolies » la moindre fête est sensass. L’une
d’elles, enfin, Eleonora, de l’École Normale du Brás, fait un mariage luxueux. Elle
épouse richement Alfredo Rocha. Elle était au bord du naufrage, prête à presque
toutes les concessions. Mais elle s’est sauvée dans l’extrémité, et du Brás
elle a évolué vers une maisonnette futuriste dans un quartier élégant.
Il y a un carnaval, comme il y a une série de
tableaux pittoresques et merveilleux, dessinés avec un grand réalisme (page
51) [p.45-46 dans l’éd. française à paraître], qu’il est impossible de reproduire mais que l’on peut recommander au
lecteur doué d’un œil leste. Corina, la métisse, avec « le ventre de celui
qui a mangé de la terre », est un épisode émouvant. Elle se paye, elle se
vend. « La souffrance du pauvre c’est l’argent. »
Nous ignorons si le
prolétariat se tiendra pour défendu dans ce livre anti-bourgeois. Il est
probable que non. La misère ou le besoin ne croient pas en leurs propres
avocats ; naturellement, ils protesteront.
La vérité est que le
livra comptera d’innombrables lecteurs, pour l’éclatante beauté de ses tableaux
vivants de dissolution et de mort.
Le type de la plus
grande résistance est Alfredo, qui enfile la blouse qu’il avait désirée depuis
sa littérature de livres libertaires, ayant déjà abandonné l’abjecte Eleonora,
qui a dévoré sa fortune, et, par bonheur, ayant trouvé Otávia, la compagne
saine et forte, pure et consciente comme il avait rêvé…
Alfredo est, malgré
tout, un oppositionniste de gauche, un désillusionné, qui a adopté cette
dissimulation de gauchiste…
On voit bien que la
bourgeoisie est impropre à sauver le prolétariat. Pas plus que le prolétariat,
comme en Russie, ne peut de se sauver lui-même.
(J. Ribeiro, « Registro literário / Mara Lobo, Parque industrial,
S. Paulo, sem
indicação de tipografia »,
Jornal do
Brasil, Rio de Janeiro, jeudi 26
janvier 1933, p. 8.)
N.B. : Critique littéraire de renom, membre depuis 1898 de l’Academia Brasileira de Letras, João
Ribeiro (1860-1934) s’était montré régulièrement attentif, en aîné honnête et
pondéré, aux productions de la jeune génération moderniste dans les années
1920, et signait là l’une de ses dernières recensions. À la reprise de cet
article dans le volume posthume Os modernos
(Crítica, vol. IX, 1952), saluant sans
ambages « le critique le plus illustre et le plus aimable de son temps », Patrícia Galvão devait s’amuser de se
voir incluse, dans la table des matières, « entre deux calamités — le
Jorge Amado du Pays du Carnaval et le
Tristão de Ataíde des Études et de la
Doctrine catholique » (Fanfulla, São Paulo, 27 mai 1953).
Patrícia Galvão (Pagu)
Parc industriel
(roman prolétaire)
Inédit en français
Prologue de Liliane Giraudon
Prologue de Liliane Giraudon
Le Temps des Cerises
mars 2015
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