Panorama
par Ary Pavão
Parc industriel,
roman prolétaire… Tant que « les employés des tissages déchiffrent sur le crâne de la crevette
impérialiste »
que São Paulo est le plus grand centre industriel de l’Amérique du Sud, on
croit encore à Mara Lobo, mais, dès que la « petite Italienne matinale »
adresse certain salut expressif au tram, le nom de la couverture du livre
disparaît comme par enchantement, pour laisser apparaître à sa place — Pagu —
avec la violence et l’éclat de son tempérament révolutionnaire. Puis c’est le
Brás avec ses usines, ses cheminées puissantes, ses mendiants, ses enfants en
haillons, ses apôtres anonymes ; la rue de l’amertume, enfin… cette même
rue de la vie facile, que les heureuses créatures font « paver de diamants,
pour que s’y promène leur amour »…
« Travailleuses à l’aiguille », les humbles
petites couturières qui lèchent les vitrines des maisons élégantes de la rue
Barão de Itapetininga, pleines d’envie devant les gourmandises exposées… Araignées
tristes qui tissent les robes coûteuses des autres femmes, sans pouvoir les
porter. Un jour, voilà qu’arrive l’élégant coupé sport qui ne manque jamais de
faire son apparition là où il y a de jeunes ouvrières faméliques. Après la
garçonnière, l’abandon, la honte… La lutte des classes dans tous les secteurs. La
séance du syndicat régional est une page extraordinaire. Le compagnon Miguetti
qui est un agent de la police, et qui se rend à la réunion dans l’unique
dessein d’interrompre les orateurs et de les dénoncer à l’Ordre Politique et
Social, est une figure obligée dans toutes les sociétés ouvrières du Brésil. Le
jour où les travailleurs mettront à la rue tous les Miguetti qui vivent parmi
eux, je ne dis pas qu’ils augmenteront le volume de leurs revendications, mais
ils diminueront considérablement leurs ennuis. Miguetti est une institution
nationale. Il débute comme prolétaire, devient agent infiltré et finit
propriétaire et persécuteur de ses anciens compagnons…
Le noir Alexandre, que la cavalerie de l’Ordre a
un jour assassiné, est une autre figure impressionnante et bizarre du livre de
Pagu. Et les deux petits noirs, Carlos Marx et Frederico Engels, que la vieille
paralytique a commodément brésilianisé en Marcos et Enguis ?... Et toute
une somme de choses délicieuses. Otávia, Alfredo et Eleonora — les principales
figures du roman —, on les connaît. Les deux premiers évoluent par ici, heureux
des idéaux qu’ils ont embrassés. Eleonora est restée à l’Esplanada, attendant
sa nouvelle toilette* pour un gala de
charité. De temps à autre, peut-être, la visite une légère nostalgie du temps
passé. Mais le sifflement des usines est une musique fort malcommode aux
oreilles habituées aux orchestres des hôtels de luxe… Et elle chasse les
mauvaises pensées en commandant un autre Martini…
Roman rapide, couleurs
fortes, personnalité. Même pour ceux qui, comme moi, ne participent pas au
courant d’idées qui l’a inspiré, Parc industriel de Pagu est un livre qui se lit avec plaisir. Impropre aux
enfants et aux jeunes filles — comme tout livre qui contient des idées — il
intéresse, parce qu’il peint avec une notable simplicité les aspects les plus
désolants de cette lutte terrible que les inégalités humaines ont créée entre
les différentes couches sociales.
N’était la présence de
certains termes que les dictionnaires civilisés ont bannis de leurs pages, par
incapacité esthétique, je conseillerais à tout le monde la lecture de ce livre.
Il y a des créatures, toutefois, que leur sensibilité empêche de lire ou
d’entendre certains mots… quand bien même nous les avons tous à l’esprit, en un
stock imposant, pour les déverser — quoique mentalement — sur ceux-là qui se
mettent en travers de notre chemin, ou qui tentent, d’une certaine manière, de
diminuer notre part de bonheur…
(A. Pavão, « Panorama »,
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