Le livre de la semaine
Dans le sous-sol du parc
industriel
par Geraldo Ferraz
Le livre de Mara Lobo, Parc industriel, est sorti samedi 31
décembre, avec une publicité disant qu’il s’agit d’un roman prolétaire, le
premier de 1933.
C’est une anticipation
de la nouvelle année qui a illustré les vitrines des librairies avec le sérieux
cinématographique noir et blanc de la couverture horrible, antipathique, du
livre de Mara Lobo.
Je n’ai même pas besoin
de le lire pour écrire ici qu’il ne s’agit pas d’un roman prolétaire. La
qualification, qui est expliquée par la préface (« la statistique et
l’histoire de la couche humaine qui soutient le parc industriel de São Paulo,
et qui parle la langue de ce livre, se trouvent, sous le régime capitaliste,
dans les prisons et dans les baraquements ouvriers, dans les hôpitaux et dans les
morgues ») de la 5e page, ne correspond à aucun modèle littéraire existant.
Cela a été suffisamment expliqué dans une note du Diário da Noite, à la publication du livre de Paulo Torres, des
poèmes dits également prolétaires. En résumé, le contenu peut avoir un sens
révolutionnaire (révolution prolétaire) mais il ne s’agira pas pour autant
d’une œuvre prolétaire. Celle-ci ne sera possible que sous le régime déterminé
par la révolution prolétaire, et elle devra correspondre aux conditions
sociales et humaines qui en découleront, etc.
Le livre de Mara Lobo
est un roman de sens révolutionnaire. Pour ce faire, l’auteur a sélectionné
certains éléments et a réalisé, dans une forme toujours intéressante, un
notable travail littéraire, dans la succession des épisodes du récit.
Ces éléments sont bien
distribués et sont le résultat passionnément exposé du choc des vies qui palpitent
dans le sous-sol du parc industriel. C’est la ville des travailleurs qui s’entraperçoit
avec son fleuve Tietê, ses rues de résidences ouvrières, l’âpreté de la
journée, dans l’atmosphère enfumée par les hautes cheminées d’usine. L’insistance
des métiers à tisser jusqu’aux machines à coudre où s’éreintent les filles du
parc industriel. Logements collectifs et syndicats en pleine séance. L’attitude
de M. L. au côté du Parti contre l’Opposition, parfaitement manifestée. Et toute
la question sexuelle avec sa somme de causes, conséquences et conflits. Quelques
mots par trop grossiers, dénonçant une préoccupation littéraire néfaste. Roman du
parc industriel pauliste, roman pauliste. Complète opposition au roman carioca
de Lima Barreto et sa dernière édition, Marques Rebelo. Souvenir d’Oswald de
Andrade 1e phase, Les Condamnés (de la Trilogie en souffrance), jusque dans certains épisodes. Sans
plagiat. Mais admirable de couleur bien locale — si différent de la Bagaceira du ministre des Transports, Zé
Américo.
Des lignes d’eau-forte
dans certaines descriptions :
« Le Tietê trouble.
Barques à l’ancre et en transit, chargées de troncs et de gros hommes aux chemises
à haut col couleur cannelle. Ils s’installent.
« Le bac qui grogne de ses
engrenages rouillés. Elle mouille sur l’herbe trempée le tissu bon marché de
son manteau à la doublure usée. Ses cheveux noirs s’entortillent autour des
lianes. Terre, morceaux de charbon. »
Et la lumière des
projecteurs balaye incisivement la scène, les spectateurs, tout le mouvement du
parc industriel, sous-sol obscur d’où surgissent les détails des masques
tragiques, des moments angoissants des meetings, place de la Concórdia, des
mouvements de bas en haut, dans la force d’aurores que l’on commence à
pressentir, sur la ligne de l’horizon…
Ce n’est plus la
littérature sambinette de Mário de Andrade Conservatoire. Les âneries de Coelho
Neto pour Prix Nobel. Les sirops anglais de Machado de Assis. C’est la vie
humaine en conflit avec les conditions qui encadrent les relations du capital
et du travail, dans la lutte en perspective. Les débuts d’écrivain les plus
beaux et les plus courageux de cette délicieuse fin 1932. Malgré tous ses
défauts. Peut-être pour cela-même, une jeune sincérité.
(G. Ferraz, « O livro da semana / No subsolo do parque
industrial »,
Correio de S. Paulo,
samedi 7 janvier 1933, p. 2.)
À paraître :
N.B. : Cet article
méconnu, qui constitue la toute première recension du roman dans la presse de l’époque,
est signé par un proche, appelé qui plus est à occuper le premier plan de la
biographie de Pagu. Le journaliste et romancier Geraldo Ferraz (1905-1979) s’était d’abord signalé comme secrétaire
de rédaction de la Revista de
Antropofagia (2e phase, 1929) d’Oswald de Andrade, et avait collaboré
ponctuellement à O Homem do Povo
(1931), le journal d’Oswald et Pagu, fondant et dirigeant lui-même un autre journal
de gauche également radical, O Homem Livre (22 n°, mai 1933-février 1934).
C’est avec sa complicité que Pagu, condamnée début 1936, s’évadera avant la fin
de sa peine de 2 ans d’emprisonnement, en 1937, avant d’être arrêtée et nouvellement
condamnée en 1938. À sa sortie définitive de prison, en 1940, G. Ferraz la
recueille et l’épouse. Ils passeront ensemble le reste de leur vie, partageant un
même engagement, à commencer par leur collaboration au journal du trotskiste
Mário Pedrosa, Vanguarda Socialista (1945), et signant ensemble le roman anti-stalinien A Famosa Revista (1945), le deuxième et dernier roman
publié par Pagu.
À paraître :
Patrícia Galvão (Pagu)
Parc industriel
(roman
prolétaire)
Inédit en français
Prologue de Liliane Giraudon
Prologue de Liliane Giraudon
Le Temps des Cerises
mars 2015
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