Trois poèmes
d’Oswald de Andrade
mis en
français & en musique
par Villa-Lobos
Cabeleira de chantage
Celebridade por hora e por taxi
Parlapatatão
Bombardino de barbeiro
Desafinação
No teu fundo fundo
A maroteira dos primeiros mestiços
Repousa como um índio
Sob a árvore nacional da confiança
Pires técnico
Da paulificação
Ce
poème-portrait de Heitor Villa-Lobos par Oswald de Andrade a paru dans la revue
Novíssima (São Paulo) au cœur des années 1920. Il ne fut pas repris en
volume, mais sans doute eût-il pu figurer dans le recueil Pau Brasil, en
bonne place, à côté du poème « Atelier » consacré à la peintre Tarsila
do Amaral. Il nous rappelle que celui qui allait devenir le compositeur
brésilien mondialement connu, fut d’abord le principal représentant du courant
moderniste local dans le domaine musical, et l’ami des nouveaux poètes de São
Paulo et Rio de Janeiro, auxquels il se joignit dès la Semaine d'Art Moderne de
février 1922. Avec eux, il eut plusieurs projets, comme ce « ballet
brésilien » destiné au public parisien, dont Oswald laissa une ébauche
d’argument et Tarsila des croquis de costumes. Il leur emprunta aussi de
nombreux textes.
Au-delà des
proximités biographiques et des idées partagées sur la question de la
nationalisation culturelle et artistique, si l’on cherche, en ce qui concerne
le compagnonnage Oswald de Andrade / Villa-Lobos, quelque trace concrète
de collaboration réussie, il faut bizarrement aller chercher parmi les pièces
mineures ou peu connues du pléthorique catalogue de Villa-Lobos, où figure une
œuvre étrange à divers titres : la Suite suggestive (Cinémas),
partition d’une petite vingtaine de minutes composée ou datée du moins de 1929,
pour soprano, baryton et ensemble, l'accompagnement ayant été transposé
également pour deux pianos (pièces W242 et W243 dans le classement Appleby). Le
compositeur a laissé, dans un propos radiophonique, un témoignage succinct mais
précieux sur la genèse de cette œuvre :
J’ai inauguré le premier cinéma muet à Rio de
Janeiro, vous savez, c’était Os Parisienses [?], le premier. Je jouais par-dessus la pellicule… jour et nuit.
Remarquez que je fus tellement imprégné par cette musique qui était tous les
jours la même, [inaudible], que je
composai la Suite suggestive, qui est
très connue en Europe, et qui s’appelle Cinémas. C’est l’impression horrible que je reçus de cette vie. J’ai joué
cette musique pendant plus de dix ans.
D’après le
catalogue « Heitor Villa-Lobos » de l’éditeur Durant-Salabert-Eschig,
la première eut lieu le 26 juin 1929 au Teatro Lírico de Rio de Janeiro, avec la soprano Elsie Houston, le
baryton Adauto Filho et un ensemble dirigé par le compositeur en personne. Le catalogue raisonné de l’œuvre élaboré et mis à jour par le Museu Villa-Lobos
indique toutefois qu’à cette occasion l’œuvre ne fut donnée que dans sa version
réduite à deux pianos (avec Lucilia Villa-Lobos et Brutos Pedreira), et relève,
pour la version avec ensemble, une création posthume le 18 novembre 1989 à Rio
de Janeiro, salle Cecília Mereiles, par Lucia Dittert, Marcelo Coutinho et
l’Orchestra Pró Música de Rio do Janeiro sous la direction de Armando Prazeres.
Plus
certainement, l’œuvre fut donnée le 3 avril
1930 à Paris, salle Gaveau, dans le cadre du deuxième « Festival
Villa-Lobos » et sous la direction du compositeur. À cette occasion, elle fut commentée en ces
termes par Paul Bertrand dans Le Ménestrel du
11 avril (p.170) :
La Première Suite Suggestive [il n’y en
eut pas d’autres], donnée également en première audition [en France, du moins], est
particulièrement suggestive de la manière de M. Villa-Lobos. C’est une
succession de courtes évocations pour cinéma, qui témoignent d’une force
incisive et où le comique et le tragique alternent en contrastes violents et
avec un égal bonheur, créant une ambiance toute actuelle sans cesser de
s’appuyer sur la base ethnique du système musical qui caractérise, dans son
ensemble, l’œuvre de l’auteur. À signaler l’emploi assez nouveau de trois
métronomes, dont un avec sonnerie, qui accusent la préoccupation constante du
rythme, et les divertissantes prouesses d’une contrebasse transformée en
instrument d’agilité. Les parties vocales furent tenues avec habileté par Mme
Croiza et M. Botelho, celle de piano par Mlle Line Stiévenard.
L’amusant,
entre autres curiosités, est que sans le savoir vraiment, le public parisien
put alors entendre les toutes premières traductions du recueil Pau Brasil
d’Oswald de Andrade (imprimé en 1925 à Paris). En effet, après l’« Ouverture
de l’homme tel… » (transcrite pour orchestre, seule, en 1952) et pour des
raisons qui nous échappent encore (l’œuvre fut-elle destinée, dès le début, à
être jouée en France essentiellement ?), Villa-Lobos employait là non pas
les textes originaux, mais des versions françaises de trois poèmes de notre
auteur (ainsi que de Manuel Bandeira, à côté de René Chalupt, avec un texte
chacun), lequel n’avait rien tant rêvé, lors de ses nombreux séjours parisiens
des années précédentes, que se voir traduit en français...
La partition
ne porte que l’indication « Poésies de… », sans mention de
traducteur : on peut supposer que ces quelques transpositions du portugais
sont dues au compositeur, mais il serait pour le moins précieux de connaître la
part qu’y prit éventuellement Oswald lui-même, qui maîtrisait parfaitement le
français (ses premiers textes littéraires, dans les années 1910, furent même
rédigés en français). Quoi qu’il en soit, la relation de quasi-contemporanéité
de ces traductions avec les poèmes originaux (et bien sûr l’usage musical et
quasiment théâtral qui en est fait) nous donne quelque idée, approximative mais
peut-être plus authentique, de l’esprit de ces poèmes brefs et allusifs dont il
n’est paradoxalement pas si facile de rendre en français toute la suggestivité,
aujourd’hui…
Prétextes à
trois saynètes successives, fort brèves (entre 30'' et 1'30''), à peine
chantées, mais récitées ou dialoguées sur un accompagnement instrumental
plaisamment minimaliste, sombre ou facétieux, voici donc les poèmes
« Procissão de enterro » (Procession d’enterrement), « O capoeira »
(Le capoeira) et « O medroso » (Le froussard), dans une traduction anonyme, avec de nouveaux
titres et des sous-titres génériques qui les inscrivent dans le déroulement
d'une séance de cinématographe :
Prélude, choral et funèbre
(ciné-journal)
[tempo « animé » ; « Parlé : (sans
emphase) »]
Véronique étend les bras
Pour roucouler
Le dais stoppe
Le peuple en bave
De cette voix dans la nuit
Aux pavés luisants
De cette voix dans la nuit
Aux pavés luisants
Aux pavés luisants
Croche-pied au flic
(comœdia)
[tempo « modéré »]
(sopr.) Tu veux un beignet Salaud ?
(baryt.) De quoi ?
(sopr.) Tu veux un beignet ?
Guibolles et têtes sur le trottoir
Le récit du peureux
(drame)
[tempo « lent » ; « Récit »]
Le spectre souffla la bougie
Puis dans la noire nuit la main sur lui
Pour voir si son cœur battait encore
Pour voir si son cœur battait encore
De
l’existence et de la teneur de ces traductions confidentielles, dissimulées
dans une œuvre musicale elle-même méconnue, il fut rendu compte pour la
première fois, brièvement, dans l’appareil critique de la récente édition française de Bois Brésil, sur consultation de la partition (voix et
piano) par ailleurs quasiment introuvable.
Plus
introuvable encore, pour le traducteur et annotateur, était alors l’enregistrement
de cette pièce, le seul édité à ce jour, car cette Suite suggestive fut
gravée sur disque compact par Gudrun
Pelker, Jörg Westerkamp et les solistes de la Philharmonia Hungarica
sous la direction de Helmut Imig,
pour le label Discant (Bünde) en 1994.
Le disque n’étant
plus lui-même dans le commerce (sauf erreur), et la curiosité des amateurs n’ayant
pas de bornes, le blog Bois Brésil & Cie met à la
disposition de tous ces trois extraits, tel qu’ils se succèdent sur la
partition.
N.B.: Voir
aussi, sur l’esthétique de la Suite suggestive : Simon J. Wright,
« Villa-Lobos and the Cinema : A Note », Luso-Brazilian
Review, vol. XIX, n°2, hiver 1982, p.243-244.
Post revu et augmenté en février
2015.
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